MONDE
Bruits de sécession aux Etats désunis d’Amérique
Quitter l’Amérique ultra-conservatrice avant qu’elle ne coule, voilà le projet de la déclaration de Middlebury adoptée suite à la victoire de Bush aux Etats-unis. Tandis que des citoyens étasuniens demandent l’asile politique au Canada, le mouvement sécessionniste, parti du Vermont, fait des émules dans les Etats Démocrates

Philippe de Rougemont / DATAS

" Etes-vous prêts à risquer votre vie pour Mc Donalds, les 4x4 urbains et les 500 entreprises les plus performantes des States ? " Voilà comment le professeur d’économie à la retraite Thomas Naylor commence ses discours. Pour le fondateur du mouvement sécessionniste du Vermont, le déclenchement de la guerre contre l’Irak et le recrutement des jeunes Vermontais pour partir au front sont les derniers signes tangibles de l’effondrement américain. Désormais, il n’y a pas d’autre alternative que de quitter le Titanic étasunien avant qu’il ne coule, " comme tout empire dans l’histoire de l’humanité ". Ils ne sont pour l’instant qu’une centaine de citoyens américains à avoir signé la déclaration de Middlebury et rejoint le mouvement sécessionniste " Second Vermont Republic ", mais leurs réunions publiques rencontrent un succès au-delà de toute attente. Les arguments pour la sécession ne manquent pas. " Chaque fois que le Président ouvre sa bouche, davantage de gens consultent notre site Internet", affirme Thomas Naylor.

Arguments pour une sécession groupée
Première étape vers la sécession, des citoyens doivent d’abord réclamer à l’Etat du Vermont la convocation d’une Convention représentative. Cette dernière abrogerait ensuite l’acte d’entrée dans l’Union américaine, datant de 1791. Une telle action devrait être approuvée par les deux tiers des citoyens pour mener à une déclaration d’indépendance. Si cette majorité était atteinte, le Vermont pourrait alors commencer à se comporter comme un Etat souverain. Mais comment ce Vermont bucolique, un Etat qui ne compte que le 10e de la population de la Suisse et la moitié de sa superficie, pourrait-il tout simplement être viable une fois détaché des USA ? " Le vent de l’histoire pourrait favoriser des sécessions d’autres Etats bleus " (Etats démocrates, qui n’ont pas voté Bush, ndlr) commente Naylor. Des mouvements sécessionnistes existent en effet dans les Etats voisins, au New Hampshire, au Maine et au... Québec. Une sécession groupée aurait plus de chances de réussir. Des contacts sont déjà établis avec les sécessionnistes de ces Etats voisins. Nombreux sont les Américains qui se sentent de plus en plus étrangers dans leur propre pays. Ils ne se reconnaissent plus dans la politique étrangère, qui fait des USA une cible pour le terrorisme, qui envoie des dizaines de milliers de jeunes défendre l’empire arme au poing - tout en refusant de signer des conventions internationales élémentaires dans le domaine du désarmement, de la lutte contre la pauvreté ou la pollution. Ces Américains qui n’ont pas voté Bush sont aussi témoins d’une administration qui restreint les libertés civiles (Patriot Act), délocalise et laisse filer les emplois vers la Chine, les appauvrit tout en diminuant les impôts sur les grandes fortunes.

Un empire " non viable "
Selon l’ancien président démocrate Jimmy Carter, qui s’exprimait la semaine dernière dans les colonnes de Newsweek, jamais depuis Nixon et la guerre du Viêt-Nam l’Amérique n’avait été aussi divisée. Cela suffit-il à justifier la sécession ? Pourquoi ne pas participer, malgré la réélection de Bush, à une lutte de base, menée " depuis l’intérieur du monstre ", “ comme le préconise MoveOn, le plus grand mouvement de mobilisation civique anti-Bush (plus de 2'500'000 activistes, selon l’organisation) ? Trop tard, répond Thomas Naylor. " Les Etats-Unis, du point de vue économique, social, culturel ou écologique sont devenus un empire condamné sur la durée. L’administration ne représente pas ses citoyens mais les grandes entreprises, au point que l’Amérique est aujourd’hui devenue ingouvernable, au-delà de toute possible réparation ". En bref, le navire US coule. " Est-ce que nous colmatons les brèches du Titanic, ou est-ce que nous cherchons des alternatives ? " demande le vieux professeur. Au début, Naylor raconte qu’il visait la sécession pour obtenir un
" résultat intermédiaire ", concédant davantage de pouvoirs aux Etats membres. Mais le succès qu’il a rencontré lors de ses réunions publiques l’a rendu confiant : la sécession est un objectif réaliste. Et, selon les membres de ce mouvement, elle reste la meilleure solution. Farce, utopie ? Pas selon le célèbre économiste John Kenneth Galbraith qui s’adresse au fondateur de Second Vermont Republic en l’assurant de son accord et de son admiration. Loin de la pure spéculation, le scénario sécessionniste effraie même certains de ses potentiels supporters, qui anticipent une réaction violente, voire militaire de la part de Washington. Ce à quoi Naylor rétorque que sa femme, psychiatre polonaise, craignait comme beaucoup d’autres pendant les années 80 que le dynamique mouvement Solidarnosc n’entraîne Moscou à envoyer ses chars - comme à Budapest en 1956 et à Prague en 1968. Or, rien de cela ne s’est produit. C’est même le bloc soviétique dans sa totalité qui s’est disloqué à la fin de cette décennie, libérant tous les pays du joug de Moscou. Quand on lui demande si la sécession est un idéal en soi, ou si elle n’est qu’un outil pour quitter des Etats-Unis qu’il définit comme " technomaniaques, mégalomaniaques et impérialistes ", Naylor, qui connaît la Suisse et revient d’une conférence donnée en Autriche, conclut : " si la fédération étasunienne se comportait comme la confédération suisse, je n’opterais pas pour la séparation ".