SUISSE
L’OCDE livre son rapport sur la corruption en Suisse
Comment traquer la criminalité financière en Suisse sans pour autant froisser les autorités fédérales ? Frileux, le dernier rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques montre les limites d’une institution " politiquement correcte "
Gilles Labarthe / DATAS
(02/02/2004) Quand l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a annoncé en 1997 la création d'une «Convention sur la lutte contre la corruption», le geste a été salué. Enfin une organisation internationale s'attaquait à la montée en puissance de la criminalité financière. La convention était bientôt signée par les 30 pays membres, dont des paradis fiscaux notoires, comme le Royaume-Uni, le Luxembourg ou la Suisse. Avec son lot de recommandations et de mesures dissuasives, allant de la prévention à la poursuite des infractions, avec obligation d'entraide judiciaire, un pas décisif semblait franchi. La publication hier de son dernier «examen de la Suisse en matière de corruption «montre au contraire les limites de l'exercice: si l'OCDE reconnaît que les firmes et banques suisses sont «particulièrement exposées», l'institution évite avec soin de froisser les multinationales helvétiques, tout comme les autorités fédérales.
C'est donc un langage prudent et diplomatique qui s'étale sur les 68 pages de ce «Rapport sur l'application de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales». Résultat, pas un nom d'entreprise suisse n'a été cité.
A bien des égards, la Suisse constitue pourtant un terrain idéal pour apprécier la mise en application de la convention: les scandales financiers défrayent chaque année la chronique nationale, notamment en raison du secret bancaire, du laxisme ambiant et de l'important volume d'affaires internationales transitant par le pays. Comme le note l'OCDE, la Confédération abrite le siège d'une vaste gamme de multinationales suisses et étrangères. Elle se hisse au 9e rang des pays riches en matière d'investissements directs étrangers (IDE), entre autres à destination de pays décriés pour leur corruption endémique. Elle représente le leader incontestable de la banque privée - gérant 30% de la fortune privée mondiale, soit un montant dépassant les 3000 milliards de dollars.
Principal mérite du rapport, mitonné par 9 experts désignés par l'OCDE (4 administrateurs du secrétariat, 2 fonctionnaires hongrois et 3 délégués belges), qui se sont référés aux nombreuses demandes d'entraide judiciaire reçues chaque année par Berne: il contribue, à sa manière, à casser la vision générale selon laquelle la corruption, en Suisse, «ça vient de l'étranger».
Sans jamais entrer plus dans le détail des scandales de corruption, ni en décortiquer les mécanismes, les experts se montrent par contre généreux en bonnes recommandations. Ainsi la législation antiblanchiment en vigueur en Suisse «laisse finalement échapper du champ d'application d'annonce certains professionnels qui pourraient, de par leurs activités, se révéler une source utile de prévention et de détection d'opérations de blanchiment liées à la corruption sur les marchés étrangers». Autrement dit, les avocats, notaires, responsables de fiduciaires, cabinets financiers et gérants de fortune, qui pullulent en Suisse avec les sociétés-écrans.
La lenteur du système judiciaire, le manque de moyens consacrés aux recherches sur la criminalité financière, le peu d'empressement de certains juges d'instruction à mener des investigations, et enfin la discrétion cultivée par les entreprises afin de se donner une image «lisse», contribuent aussi à entraver les efforts.
Du côté d'ONG suisses qui dénoncent depuis longtemps la criminalité financière, le rapport est bien accueilli, mais sans enthousiasme. «Nous appuyons ces recommandations de l'OCDE, commente Stephan Howald, responsable à l'ONG Action place financière suisse, spécialement celles qui insistent sur la nécessité d'un dispositif de répression de la corruption plus rapide et plus efficace. Mais il faut aussi mettre en place des sanctions. La Suisse a encore des efforts à faire. Comment, par exemple, une histoire de corruption aussi classique que l'affaire Falcone, avec l'Angola, a-t-elle pu simplement être classée par le procureur général genevois Daniel Zapelli (le 21 décembre 2004, ndlr)? Avec l'association Global Witness, nous demandons la réouverture de ce dossier».
Même avis à la Déclaration de Berne, où Jean-Claude Huot relève là un «grave manque de volonté du procureur genevois», évoque un rapport de l'OCDE qui «passe comme chat sur braise» sur les affaires sensibles, et souhaite que Berne s'attaque par ailleurs «à cette zone grise qui subsiste entre fraude et évasion fiscale».
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