MONDE
Togo: les organisations internationales complices d'un jeu de massacre?
L'inertie de l'Union européenne et des Nations unies face à la crise togolaise permet au nouveau régime de Faure Gnassingbé de poursuivre les massacres de civils, dénoncent les partis d'opposition

Gilles Labarthe / DATAS

(Paris, 03/06/2005) "Depuis que les Etats occidentaux ont avalisé la victoire frauduleuse de Faure Gnassingbé aux élections du 24 avril, le nouveau "président" du Togo se sent autorisé à continuer les massacres et la déportation de civils. Faure Gnassingbé mate ses compatriotes pour leur faire comprendre que désormais, c'est lui qui dirige le pays". Cette analyse d'un responsable de l'opposition en exil à Paris vaut pour avertissement: loin d'être résolue, la crise togolaise se poursuit dans un climat de répression, et profite d'un silence complaisant, voire complice de la communauté internationale. Selon Christian Dablaka, président de l'Union des forces du changement (UFC, section de France), les "massacres planifiés" commis ces dernières semaines ne font aucun doute.

Le bilan de l'arrivée au pouvoir de Faure Gnassingbé et de ses premières semaines d'exercice n'est guère réjouissant. Plusieurs sources indépendantes parlent de centaines de morts, de milliers de blessés, sans compter les dizaines de milliers de réfugiés dans les pays limitrophes. Certains observateurs s'inquiètent de la recrudescence actuelle du trafic d'enfants dans la région. Dans une lettre ouverte datée du 23 mai et adressée au président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Omar Konaré, et au secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) évoque des "exécutions sommaires", "chasse à l'homme" et "massacres à grande échelle". Elle réclame "l’envoi d’urgence d’une commission d’enquête internationale afin d’établir les faits et de fixer les responsabilités".

L'urgence est d'autant plus grande que, selon plusieurs ONG, les responsables des Forces armées togolaises, de la gendarmerie nationale et des miliciens affiliés au rassemblement du peuple togolais (RPT) impliqués dans la répression s'activent déjà depuis deux semaines à effacer les traces des exactions, notamment en faisant disparaître les fichiers dans les morgues, les dossiers médicaux dans les hôpitaux et centres de santé.

Problème: les organisations internationales sont empêtrées dans toutes sortes de blocages et de contradictions internes qui les empêchent de s'investir efficacement dans une résolution de la crise. C'est entre autres ce qu'entend dénoncer aujourd'hui devant Bruxelles une manifestation du Front des Organisations Démocratiques Togolaises en Exil. Pour les représentants de la coalition de l'opposition, qui était bien décidée à mettre un terme aux 38 ans de dictature du clan Gnassingbé, l'heure de la grande désillusion a sonné. La coalition estime d'abord avoir été "lâchée" par l'Union européenne et les Nations unies, malgré les appels répétés et prononcés dès le 6 février pour surveiller le processus électoral. Elle s'est ensuite fait usurper la victoire par Faure Gnassingbé, au terme d'élections truquées, mais finalement validées par la plupart des gouvernements étrangers.

Le Parlement européen avait créé un précédent en ne reconnaissant pas la nomination de Faure Gnassingbé comme nouveau chef de l'Etat? L'Union européenne a tout de même cautionné sa victoire en se rangeant sur la position de la France, l'ancienne puissance coloniale. Le HCR, agence des Nations unies pour les réfugiés, a sonné l'alarme face à l'afflux incessant de Togolais contraints à fuir leur pays? L'ONU déclare qu'au contraire, la situation au Togo est "revenue à la normale" après les violences qui ont marqué les élections - quitte à contredire ses propres services. "Un mois après le scrutin présidentiel contesté, les forces de sécurité togolaises continuent de perpétrer meurtres, viols et enlèvements, poussant la population à quitter le pays", soulignait encore le 25 mai dernier le département d'informations humanitaires des Nations Unies, en se référant à de nombreux témoignages de réfugiés et d'associations de défense des droits de l’homme présentes au Bénin et au Ghana. Plusieurs témoignages confirmeraient même l'existence de charniers sur le sol togolais.