SAVOIRS
François-Xavier Verschave, dénonciateur de la Françafrique
(Paris, 30/06/2005) François-Xavier Verschave nous a quitté, emporté par un cancer le mercredi 29 juin. Retour sur l'héritage que nous lègue celui qui a secoué le Quai d'Orsay et l'Elysée en publiant en 1998 "La Françafrique. Le plus long scandale de la République", démontrant la permanence et le renouvellement des réseaux Foccart avec les pires dictatures du continent noir

Gilles Labarthe / DATAS

François-Xavier Verschave nous a quittés, emporté par un cancer le mercredi 29 juin. Quelques médias français brossent déjà un portrait trop rapide ou déformé de ce travailleur infatigable. Peu de journalistes et de chroniqueurs prendront le temps de traduire en termes honnêtes l'héritage que nous lègue celui qui a secoué le pays en publiant en 1998 "La Françafrique. Le plus long scandale de la République". Jouant les détracteurs, certains le présentent aujourd'hui comme un "essayiste" qui n'a jamais mis le pied sur le continent noir (Radio France internationale, 30 juin). D'autres rappelleront que ses écrits lui ont valu un procès pour "offense à chefs d’Etat" étrangers, mais omettront de préciser qu'il l'a remporté, compte tenu du "sérieux des investigations effectuées". D'autres encore chercheront à relativiser la portée de sa réflexion, exceptionnelle. Or, plus de sept années après la parution de "La Françafrique", l'exemple récent de la crise togolaise illustre à merveille la pertinence de ses analyses. Le soutien renouvelé de Paris au clan Gnassingbé démontre une fois de plus la lucidité d'un homme qui a eu le courage de dénoncer, pendant deux décennies et preuves à l'appui, les relations incestueuses du gouvernement français avec les dictatures africaines. Historien et économiste de formation, François-Xavier Verschave était aussi un excellent enquêteur. Il savait décrypter les chiffres de l'Aide publique au développement (APD) française, leur nature (coopération militaire) et parfois leur destination finale (financements de partis politique français, pots de vins). Il y a sept ans, François-Xavier Verschave avait aussi parfaitement identifié et résumé en 18 pages le fléau qui ronge le peuple togolais. Beaucoup de prétendus "connaisseurs de l'Afrique" auraient été bien inspirés de relire ce texte (1) avant de chroniquer le coup d'Etat militaire qui a suivi la mort du général Gnassingbé Eyadéma, décédé le 5 février 2005 après 38 ans de règne sans partage. Ils auraient compris, voire anticipé le drame qui allait se produire les semaines suivantes, faisant des centaines de morts, tombés sous les coups de la répression armée. Cette dernière s'est déclenchée sans tarder pour affaiblir l'opposition togolaise et assurer la continuité d'un système clanique et mafieux soutenu entre autres par les réseaux de l'Elysée. Ils auraient compris, voire anticipé la sinistre comédie des fausses élections démocratiques permettant le 24 avril 2005 un retour par les urnes de Faure Gnassingbé, après une tentative de putsch avortée. En l'espace de trois mois seulement, l'espoir d'alternance démocratique du peuple togolais a été balayé. Rassemblant des anciens fidèles du parti unique RPT du général Eyadéma (Edem Kodjo, nommé Premier ministre) ou des membres directs de la famille du défunt dictateur (Kpatcha Gnassingbé, frère aîné et ministre de la Défense), un nouveau gouvernement a été nommé. Il est devenu le partenaire officiel des puissances étrangères investissant au Togo. Ce gouvernement risque de prolonger un régime de pillage des richesses du pays (phosphates, réserves stratégiques, bois précieux…) orchestré depuis deux générations avec la complicité d'acteurs français. On le sait: au Togo, le vide démocratique permet tous les trafics (armes, diamants, drogue…) sans que des sanctions internationales efficaces soient appliquées. Les mécanismes, les réseaux de la Françafrique et même certaines personnalités françaises soutenant actuellement au Togo le clan Gnassingbé par leurs conseils dans les domaines juridiques, militaires ou de communication, avaient déjà été signalés par François-Xavier Verschave en 1998. Il avait ensuite poursuivi avec patience la récolte de documents et de témoignages directs sur le "cas togolais". Lorsqu'il m'a confié en mars 2004 la rédaction d'un "dossier noir" sur le Togo (2), les éléments qu'il m'a transmis m'ont d'abord alerté. En tant que journaliste d'investigation, les faits relatés, si tragiques et grotesques à la fois, me semblaient sortis tout droit d'un roman policier. Ils accréditaient l'étiquette de la "théorie du complot" de la France contre l'Afrique, qui a si longtemps desservi le travail rigoureux et très documenté de François-Xavier Verschave. Procédant par recoupements, j'ai malheureusement pu vérifier que la majeure partie de ses sources étaient étayées, répertoriées, archivées. Beaucoup ont d'ailleurs été reprises - souvent sans le citer - par d'éminents spécialistes de l'Afrique et chercheurs universitaires qui font autorité en France. D'autres informations, jusque-là inédites, sont venues confirmer la justesse de l'analyse. Parfois même, certains documents que j'ai pu apporter à ce dossier tendent à confirmer que la situation est plus caricaturale, généralisée (en matière de politique africaine, la France n'a pas le privilège des basses méthodes) et inquiétante encore que ce que François-Xavier Verschave a bien voulu décrire. Je pense en particulier à des déclarations ou documents officiels émanant du Ministère des affaires étrangères à Paris, à des rapports du Conseil de sécurité des Nations unies... A sa manière, et au nom d'une gestion enfin publique et transparente de la politique française en Afrique, François-Xavier Verschave nous a appris à ouvrir les yeux. En démocratie, c'est un droit. C'est aussi un devoir.

Gilles Labarthe

(1) François-Xavier Verschave, "La Françafrique. Le plus long scandale de la République", Stock, 1998, pages 109-126.
(2) Gilles Labarthe, "Le Togo, de l’esclavage au libéralisme mafieux", Agone, 2005.