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Des "fromages de tradition" moulés par les grosses entreprises
FRANCE - Conçue pour la promotion des produits auvergnats, la "Route des fromages AOC" laisse un drôle de goût au visiteur: sous couvert d'identité régionale et de respect du terroir, ce sont les grandes sociétés laitières qui font la loi. Reportage
Photographies Olivier Chambrial

texte de Gilles Labarthe / photos d'Olivier Chambrial / DATAS

«Prenez la Route des fromages AOC d'Auvergne. Laissez-vous conduire au coeur d'une nature intacte et généreuse et découvrez nos cinq grands fromages auvergnats: saint-nectaire, bleu d'Auvergne, cantal, salers et fourme d'Ambert. Depuis toujours, fermiers et fromages fabriquent ces cinq AOC dans le plus pur respect des savoir-faire traditionnels.» Alléchante, cette invitation au voyage concoctée par l'Association des fromages d'Auvergne (AFA) et des syndicats*. Muni de la carte de la «Route des fromages», le visiteur gourmand prépare sa randonnée dans les vallées auvergnates.

Les choses se compliquent s'il jette son dévolu sur la fourme d'Ambert, beau fromage de lait caillé «blanc, cylindrique et délicatement persillé de bleu», selon la description en vigueur. La fourme d'Ambert, une valeur sûre: la hausse des ventes est constante depuis plus de dix ans. Elle figure en bonne place parmi la production fromagère industrielle du département français - une des plus importantes ressources économiques de la région, avec environ 50'000 tonnes par an, soit 27% du tonnage national de fromage de vache en Appellation d'origine contrôlée (AOC).
Mais à Ambert même, il n'y a rien à découvrir, juste un petit musée présentant un film et de vieux instruments en bois (entonnoirs, moules, barattes et tables d'égouttage). Excepté un producteur fermier, aucune fromagerie ou cave d'affinage ne sont signalées dans le secteur. Mystère.

La laiterie-fromagerie de Fournols, à une vingtaine de kilomètres? Las: c'est un site de fabrication industrielle. «Pour des raisons d'hygiène, la laiterie ne se visite pas», nous répond Jean Gautron, président du Syndicat interprofessionnel de la fourme d'Ambert (SIFAM). Dommage. On apprend que c'est précisément ce type de fourme industrielle, sortie d'usine, qui bénéficie ici de l'étiquette AOC. Elle tient la grosse majorité du marché: 7'000 tonnes par an de fourme d'Ambert certifiée d'origine - contre 15 tonnes seulement de fourme artisanale et fermière, vendues sans le fameux label, mais respectant mieux des méthodes d'élaboration traditionnelles.

«C'était une bonne idée, cette «Route des fromages». Mais nous, les petits producteurs, on se sent utilisés, où mis à l'écart», regrette un fromager défendant une exploitation familiale installée près de Marsac-en-Livradois. Dans la région d'Ambert, les fermiers sont de plus en plus relégués à la fonction de décor traditionnel pour dépliants touristiques ou simples producteurs de lait. Un «or blanc» acheté à bas prix par l'industrie laitière, qui se charge elle-même de sa transformation en fromage, bien plus rentable.

«Malgré une production de fourme d'Ambert qui a augmenté de plus de 50% en dix ans, la SIFAM n'annonce guère de plus-value sur le prix du lait», précise un responsable du secteur agricole.
A une heure de route plus au sud, la colère est encore plus forte dans les environs de Le Puy-en-Velay. "Une cinquantaine de producteurs sont passés ici l'autre nuit, ils ont tagué tous les murs de notre coopérative laitière, détruit des installations du site de production de fromagerie à Blavozy, explique le surveillant. Ils protestaient contre le prix du lait". "Route du lait = voie sans issue". Le message s'affiche désormais en grandes lettres. DATAS

*www.fromages-aoc-auvergne.com