MONDE
Dernières révélations pour l'affaire "HLM des Hauts-de-Seine"
(Paris, 11/07/2005) Accusé de financements politiques en faveur du RPR de Jacques Chirac, le "chef d'orchestre" Didier Schuller doit expliquer cette semaine l'utilisation de plusieurs comptes bancaires en Suisse

Gilles Labarthe / DATAS

Tribunal correctionnel, Créteil. C'est en périphérie de Paris et en pleines vacances d'été que se poursuit cette semaine le procès de Didier Schuller et dix autres personnalités françaises, dont sept chefs d'entreprise. Tous sont accusés de trafic d'influence et d'abus de bien sociaux. On se souvient comment cet ancien directeur de l'office des HLM des Hauts-de-Seine avait défrayé la chronique en décembre 1994: une perquisition du juge Eric Halphen à la permanence électorale de l'ancien conseiller général RPR à Clichy déclenchait la panique chez des proches de Jacques Chirac. Les preuves évidentes de surfacturations et de trucages de marchés publics au service du financement de partis politiques s'accumulaient. Une dernière tentative de machination par le "clan Pasqua", visant à compromettre le juge Halphen, échouait. Craignant pour sa vie, Didier Schuller prenait la fuite en février 1995. Direction la Suisse, où il vidait ses comptes bancaires à Genève, avant de s'échapper vers Londres, puis aux Bahamas et en République dominicaine.

Rattrapé par la police à son retour en France en 2002, Didier Schuller comparaît, dix ans plus tard. Agé de 58 ans, le teint hâlé, tiré à quatre épingles dans un costard cravate à boutons de manchettes dorés, le principal accusé doit s'expliquer sur la nature et l'utilisation de plusieurs comptes bancaires suisses. Il évoque d'abord un héritage de famille. "Je savais que maman avait de l'argent en Suisse". L'instruction a en effet révélé l'existence d'un compte d'un million d'euros, d'origine indéterminée, somme enregistrée au nom de sa mère. D'une voix douce, Didier Schuller parle du grand train de vie que menaient des membres de sa famille qui "fréquentaient des palaces", possédaient des appartements parisiens… il reconnaît ensuite "une fortune personnelle de deux millions de dollars", mais se pose en victime d'un héritage qui aurait été mal réparti. Et le compte bancaire suisse baptisé "Jungle", doté de 2,7 millions d'euros, qui aurait servi à financer sa retraite précipitée dans les Caraïbes? C'est son gérant de fortune suisse, Jacques Heyer, qui l'aurait dilapidé…

Passons aux comptes bancaires de son ami Jean-Paul Schimpf, "trésorier" des activités politiques de Schuller. Les investigations ont démontré qu'ils étaient alimentés par les millions d'euros collectés en espèces auprès des entreprises spécialisées dans les travaux publics, contre l'obtention des marchés en Ile-de-France. En trois mois seulement, des sommes faramineuses pouvaient ainsi passer par la Suisse, se souvient le juge Halphen, qui évoquait entre autres la piste de l'Arab Bank de Zurich. Un temps, Didier Schuller avait lâché le nom d'une entreprise de BTP faisant des "cadeaux": le groupe Bouygues. Alors quoi, l'assistance se contenterait-elle maintenant d'apprendre qu'une partie des centaines de milliers de francs transitant entre la Suisse et la France auraient servi à financer les parties de chasse de Didier Schuller sur ses terres en Alsace?

Retranchés derrière des montagnes de dossiers, la demi-douzaine de juges du Tribunal de Créteil semblent se satisfaire des réponses évasives et très personnalisées du principal accusé. Ils se cantonnent aux faits locaux. Ils se garderont de décortiquer un système parallèle, servant au financement politique français, impliquant tout un réseau de fiduciaires suisses. Bien sûr, Didier Schuller a reconnu avoir "financé de façon occulte" ses campagnes électorales à Clichy. Mais aujourd'hui encore, en se prêtant à la sortie de l'audience au jeu des questions et réponses face à la poignée de journalistes présents à Créteil, il hésite. Va-t-il poursuivre ses menaces de révélations - invoquant Jacques Chirac - ou continuer à minimiser son rôle en déclarant qu'il ne serait qu'un "fusible", victime d'un "coup politique", un "fantassin de la République" dans cette affaire… La crainte d'une sentence trop lourde pourrait le faire parler. S'il veut le faire, il lui reste jusqu'au 15 juillet, date prévue pour la fin du procès. Ensuite, l'affaire sera classée. Didier Schuller risque jusqu'à dix ans de prison.