ECONOMIE
Gestion des déchets nucléaires : les milliards de la discorde
Berne vient de publier son rapport annuel sur le fonds pour la gestion des déchets radioactifs. Les chiffres seraient " conformes aux prévisions ", mais des voix s’élèvent pour les contester. A-t-on compté la gestion sur des dizaines ou des milliers d’années ?

Philippe de Rougemont / DATAS

" Les fonds pour la gestion des déchets radioactifs affichent des résultats conformes aux prévisions ", affirmait le 4 juillet un communiqué de presse de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) résumant les conclusions de son rapport annuel sur la question. Le satisfecit de l’autorité fédérale ne fait pas l’unanimité parmi les experts. Il faut dire que l‘exercice tant physique que financier de gérer ces déchets défie l’entendement humain. D’abord, parce que la loi sur l’énergie nucléaire (LENu) impose de séparer les déchets radioactifs de l’environnement. Or, il faut compter 240'000 ans pour une désintégration complète des atomes de plutonium. Ensuite, les autorités fédérales prévoient que le financement des 13 milliards de francs pour enfouir ces déchets soit entièrement assumé par les exploitants des centrales et répercutées sur les factures d’électricité. Le principe est d’éviter aux générations futures de devoir financer la gestion de nos déchets.

Comment gérer ces déchets ?
Avec cette somme, " techniquement, c’est possible de gérer les déchets de manière sûre pour le temps nécessaire ", nous affirme le Dr Michael Aebersold de l’OFEN. De quelle façon ? A Berne, la doctrine actuelle est l’enfouissement en profondeur, pour rajouter un confinement supplémentaire au conditionnement en fûts. L'enfouissement doit agir comme barrière ultime contre la radioactivité. La date prévue de mise en service du dépôt fédéral est prévue pour 2020. Le temps d’emballer les déchets au mieux des connaissances actuelles et surtout de trouver enfin un site approprié. Il faut savoir que pour l’instant, les déchets hautement radioactifs sont entreposés provisoirement, au dépôt intermédiaire de Würenligen (AG). Selon le Dr Aebersold, l'enfouissement officiel des déchets nucléaires pourrait toutefois attendre " jusqu’en 2040, parce que la politique prend du temps ". De plus, nos connaissances actuelles sur la radioactivité restent très limitées: les recherches sur le comportement des déchets nucléaires ne datant que de quelques dizaines d’années. Aussi, la quantité des déchets à gérer reste inconnue. Elle dépend de la durée d’exploitation des centrales. La politique d'enfouissement de Berne ne fait pas non plus l'unanimité. Selon le Professeur Wildi, Président de la Commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires, le concept à la mode serait plutôt celui " d’un dépôt géologique équipé pour l'observation à long terme ", qui resterait soit accessible pendant plus d'une centaine d'années, " soit fermé par une décision prise par une génération future ". La doctrine précédente d’un dépôt définitif et scellé serait donc remplacée par le principe du dépôt réversible, suite à un long débat entre experts.

Experts divisés
Selon d'autres spécialistes critiques, dont M. Chaim Nissim, qui a passé les 25 dernières années à lutter contre le nucléaire en Suisse, " modéliser et simuler numériquement le comportement géologique des sous-sols (séismes, infiltration d’eau) sur des milliers d’années est un exercice purement théorique ". Le problème fondamental selon lui est de savoir " comment transmettre aux futurs habitants du pays les connaissances sur l’emplacement du dépôt souterrain, la nature des déchets et leur effet sur la nature et la santé ". Dans des milliers d’années, " rien ne garantit qu’il existera encore un Office fédéral de l’énergie ou même un état capable d’assurer la surveillance du dépôt ". Le pari est ouvert : d’ici à quelques siècles ou millénaires, nos descendants parviendront-ils encore à accéder au dépôt, mesurer la radioactivité, remonter les fûts en surface, les reconditionner et les enfouir à nouveau ? Selon Christian van Singer, physicien et Coprésident du comité antinucléaire romand, " c'est la loi (LENu, Ndr) qui est mauvaise, elle prévoit qu’une fois les déchets mis dans un trou et que le trou est bouché, tous les frais suivants sont à la charge de l'Etat et des générations futures ". A tous points de vue, le fonds de 13 milliards serait, selon van Singer, " insuffisamment doté ".