MONDE
La Biélorussie libère le chercheur Iouri Bandajevsky
Iouri Bandajevski, spécialiste de médecine nucléaire et critique de la gestion de l'après-Tchernobyl, a été libéré vendredi soir après 4 années de réclusion. La recherche indépendante sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl sera-t-elle aussi libérée ? Extraits d’un entretien avec Bandajevsky réalisé par la CRII RAD samedi.

Philippe de Rougemont / DATAS

Emprisonné en 2001 pour avoir selon le procureur Biélorusse « accepté des pots-de-vin pour favoriser certains étudiants », et soutenu par Amnesty qui le déclare prisonnier d’opinion, Iouri Bandajevsky, Recteur de l’université de Gomel vient d’être libéré vendredi. Son histoire est singulière et représente une trame instructive des presque 20 années de controverses sur les effets sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl.
Au lendemain de la catastrophe (26 avril 1986), le Recteur de l’université de Gomel (ville située en plein coeur d’une région contaminée), Iouri Bandazhevsky, commence un travail de recherche. En faisant d’abord passer des électrocardiogrammes à ses étudiants, il constate chez eux de nombreux problèmes, trop nombreux pour être le fait du hasard. Plus tard, en autopsiant des centaines de corps à la morgue de Gomel, il constate que leurs organes contiennent des concentrations élevées de césium 137.
En quelques années, le Dr Bandajevski, sa femme pédiatre, aidés de quelques étudiants, examinent des milliers d'enfants. Au total, 70% des enfants vus par les époux Bandajevsky autour de Gomel souffrent de pathologies cardiaques.

Déni de la part des autorités
Le régime autoritaire de Aleksandr Lukashenko en Biélorussie serait ravi d’effacer les 20% de son budget affecté aux conséquences de Tchernobyl. Nier ou relativiser les conséquences de Tchernobyl permet aussi de redémarrer l’agriculture sur toute la surface exploitable, même irradiée. Officiellement, selon l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) et les chiffres repris par les chancelleries, la catastrophe nucléaire n’a fait que 31 morts et 200 cas de maladie due aux radiations dans les jours qui ont suivi. Pour les offices gouvernementaux responsables de la politique énergétique et pourvus d’un programme nucléaire, minimiser les conséquences de Tchernobyl est indispensable pour atténuer les craintes dans la population. La libération de Bandajevsky et la création du laboratoire « Criirad – Bandazhevsky » libérera-t-elle aussi la recherche indépendante?

Philippe de Rougemont / DATAS


INTERVIEW
« Je n'ai pas perdu la volonté de travailler »

Propos de Iouri Bandazhevsky recueillis samedi par Romain Chazel, Vice-président de l’association CRII RAD (1):

Romain Chazel : Comment vous sentez-vous ?
Iouri Bandazhevsky : Bien sûr, la prison, c'est la prison; incontestablement, elle brise vos forces, mais si tu connais tes raisons de vivre, et si tu poursuis une voie choisie, tu peux résister, il n'y a pas d'autre issue. En tout cas, je n'ai pas perdu la volonté de travailler et de jouir de la vie.

Quelle est votre situation ?
- Je suis en libération conditionnelle. Il m'est interdit pendant 5 ans d'exercer un poste de responsable. Concernant le laboratoire "Criirad-Bandazhevsky" en projet (laboratoire biomédical en Biélorussie, poursuivant les recherches sur les effets sanitaires de Tchernobyl), peu m'importe de ne pas avoir le mot "directeur" sur ma carte de visite, l'essentiel est que la direction soit exercée par des gens en qui j'aie confiance.

Et maintenant, que voulez-vous faire ?
- Lorsque je dirigeais l'Institut médical de Gomel, mes collègues et moi sommes arrivés à la conclusion que l'action prolongée des radiations produit des modifications lourdes et des atteintes au niveau des gènes, de l'information génétique, héréditaire. La création d’un laboratoire en partenariat avec la Criirad va me permettre de vérifier mes idées et hypothèses, qui peuvent se transformer, par la suite, en étude scientifique de grande ampleur.

On fête bientôt les 20 ans de Tchernobyl, déjà 20 ans. Quelle impression cela vous fait ?
- Surtout, c'est le regret de voir que pendant tout ce temps, l'humanité n'a rien su trouver de valable pour se mettre à l'abri des dangers de l'énergie nucléaire. Il suffit de voir ce qui se passe, aussi bien dans le domaine militaire que civil. On ne sait toujours pas résoudre la question des déchets radioactifs ni de la sécurité nucléaire.

Pensez-vous que l'on a perdu du temps ?
- Pendant ces 20 ans, on n'a rien fait parce qu'on n'a rien voulu faire; certes, il y a eu des tentatives, mais c'étaient des initiatives partielles, isolées, entourées de suspicion. En fait, il n'y a pas eu constitution d'un corps de spécialistes eu Biélorussie, qui existaient pourtant mais sont demeurés isolés.

(1) Association Criirad, projet « Laboratoire Criirad-Badazhevsky » www.criirad.org