FIRMES
Ça chauffe pour le maïs bt10 de Syngenta
Sanctionnée par l'administration américaine, la firme bâloise a dû livrer à Bruxelles la "recette" de son maïs bt10, interdit aux Etats-Unis et en Europe mais importé "par mégarde" dans une demi-douzaine de pays. L'Union européenne exige des explications, et une méthode de détection fiable pour distinguer au plus vite le bt10 des 3,5 millions de tonnes de maïs OGM importés chaque année des USA

Gilles Labarthe / DATAS

(11/04/2005) "Exportations d'OGM illégales", "rétention d'information", "communication mensongère"… les accusations fusent contre la firme bâloise Syngenta. Cette fois, ce sont des responsables de la Commission européenne comme d'organisations non gouvernementales qui les profèrent. On se souvient que le géant suisse de l'agrochimie avait confirmé, fin mars, avoir exporté "par mégarde" pendant quatre ans aux USA environ 100'000 tonnes de maïs bt10, un produit transgénique non autorisé sur le sol américain. C'est aujourd'hui au tour de Bruxelles de s'alarmer. La Commission vient d'apprendre que le bt-10 contient en fait un gène conférant une résistance à un antibiotique: l'ampicilline. Ce qui en fait un maïs potentiellement nocif, en raison de cette résistance. L'Agence européenne pour la sécurité alimentaire avait pourtant recommandé en 2004 de restreindre à des seuls buts de recherche l'utilisation de ce type de gène dans les plantes.

Dans un communiqué du 1er avril, la Commission européenne a pris un ton très ferme pour "demander des explications sur le bt10 aux autorités américaines et à la compagnie de biotechnologie Syngenta". Les responsables de l'UE s'inquiètent d'un précédent: une dizaine de kilos de semences bt10 ont déjà été importées "par inadvertance" en France et en Espagne pour des expérimentations. "La Commission a aussi été informée qu'environ 1'000 tonnes de semences et produits alimentaires bt10 seraient entrés en Union européenne à travers les canaux d'exportation habituels du bt11 depuis 2001".

Bruxelles a exigé que Syngenta fournisse des informations complètes sur les caractéristiques moléculaires du bt10 et ses différences d'avec le bt11, ainsi que sur les mesures de détections appropriées pour assurer la traçabilité de ce nouveau OGM non autorisé en Europe. Syngenta devrait s'exécuter la semaine prochaine. Pour l'heure, la composition exacte du maïs bt10 reste un secret bien gardé. Le siège de la firme Syngenta, à Bâle, n'a pas souhaité en dire davantage sur les qualités ou les inconvénients de son produit. Un porte-parole note juste que la bt10 était en phase de "pré-commercialisation", donc pas encore destiné à la vente. A Berne, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) avoue ne disposer d'aucune donnée précise sur le bt10 de Syngenta, pourtant fabriqué depuis quatre ans, et s'en remettre entièrement aux éléments d'informations émanant des autorités américaines.

Pour de nombreux experts, Syngenta se retrouve non seulement accusée de négligence, voire d'incompétence dans la gestion de ses stocks, mais aussi d'avoir dissimulé aux gouvernements concernés des données cruciales. La firme a d'abord attendu trois mois avant de révéler au public, en mars dernier, ses "erreurs" de livraison en destinations des Etats-Unis, décelées en décembre 2004. Le temps de mettre en place avec le gouvernement américain une stratégie de communication qui fasse passer la pilule, analyse Didier Heiderich, à l'Observatoire des communications de crise, qui qualifie les arguments développés par Syngenta de "mensongers": dorénavant, "il sera difficile de nous expliquer que ce maïs transgénique n'est pas nocif pour l'homme ou pour l'environnement, sinon pourquoi avoir tenté de cacher la vérité ? Toute communication de Syngenta et des autorités US sur les OGM demeurera suspecte, et ceci pour longtemps".
La firme suisse a en effet minimisé le problème en ne reconnaissant que les cas des livraisons illégales aux USA, alors que son maïs bt11, confondu "par mégarde" avec son produit expérimental bt10, est bel et bien commercialisé sur plusieurs continents. Les deux variétés risquent par conséquent d'avoir été interverties sur de nombreux circuits de distribution internationaux - notamment en direction du Canada, dénonce aujourd'hui Greenpeace, qui estime que "Syngenta a tenté d'induire le public en erreur". L'ONG va enquêter sur les risques de contamination.
Le 21 mars, la multinationale s'était aussi fendu d'un communiqué pour préciser que "la protéine bt produite par ces lignées est identique à celle produite par les lignées bt11, complètement approuvées et commercialisées. Cela ne change donc aucunement le profil du maïs, tant au niveau de l’alimentation, de la santé que de l’environnement ".
Là encore, les responsables de Syngenta se sont voulus rassurants par omission, passant sous silence le nouveau gène du bt10 . Ce manque de transparence et de précaution cultivés par le géant agrochimique, en complicité avec les autorités américaines qui cherchent à briser les règles de traçabilité des OGM développées par Bruxelles, n'est pas du goût de la Commission européenne. Elle l'a fait comprendre. Mais prendra-t-elle des sanctions?