ENQUÊTES
Berne envoie 3 millions pour reconstruire l'Irak
Les enquêteurs internationaux estimaient à un minimum de 1,3 milliards de dollars les fonds de Saddam Hussein et de son clan planqués en Suisse. Après deux ans et demi d'investigations, les autorités fédérales n'ont toujours "trouvé" et bloqué que 180 millions de francs. Seuls 3 millions ont été rendus à Bagdad pour le Fonds de reconstruction de l'Irak. Explications du Seco à Berne

Gilles Labarthe / DATAS

Initiée en mars 2003 par les USA, peu avant l'intervention des forces de la coalition en Irak, la «chasse au trésor» du dictateur Saddam Hussein et de son entourage a porté ses fruits. Sur un magot estimé par certains spécialistes à 10 milliards de dollars, une bonne partie a déjà été bloquée, sur recommandation expresse du gouvernement de Washington et du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les plus importantes saisies ont eu lieu aux Etats-Unis, en Angleterre, en France, dans les paradis fiscaux des Caraïbes, au Proche-Orient et notamment, à Bagdad...

Et en Suisse? Plus de deux ans et demi après le début des opérations, la somme totale des avoirs gelés par le Secrétariat d'Etat à l'économie (seco) «ne dépasse pas les 180 millions de francs», nous informe Othmar Wyss. Contacté à Berne, le responsable des sanctions admet que ce total n'a pas bougé depuis environ 16 mois - la dernière annonce officielle ayant été effectuée en mai 2004.

Un montant qui apparaît dérisoire, comparé aux estimations - parfois mirobolantes - qui avaient été annoncées à l'époque par la presse spécialisée. En juin 2003, l'hebdomadaire financier «Cash» estimait à 1,13 milliard de francs les avoirs déposés par le raïs irakien en Suisse, en fournissant le détail de la répartition. Cette somme incluait les 300 kilos de lingots (d'une valeur de 4,5 millions) qui avaient transité par l'ambassade d'Irak à Berne, pour être destinés à la multinationale suisse de raffinage Metalor, basée à Neuchâtel. Toujours selon «Cash», la Banque nationale suisse (BNS) aurait de son côté identifié 386 millions placés sur des comptes suisses au nom du Gouvernement irakien. A Bâle, la Banque des règlements internationaux (BRI) affirmait avoir gelé 750 millions appartenant à l'ancien régime baasiste.

Mieux: la société privée d'investigation Kroll Worldwide - chargée en 1991 par le Gouvernement koweïtien de mener une enquête sur les avoirs irakiens cachés à l'étranger - pariait sur une cagnotte bien plus considérable, avec entre autres l'identification de 65 tonnes d'or planqués dans les banques de la Confédération. Le spécialiste anglais Con Coughlin avançait de son côté le chiffre de 4,5 milliards - un total confirmé par plusieurs sources indépendantes - pour un réseau de comptes bancaires mis en place en Suisse au début des années 1990.

L'obligation d'annoncer sans délai les avoirs liés au régime de Saddam Hussein était entrée en vigueur le 10 avril 2003. Conformément à la résolution 1483 du Conseil de sécurité des Nations Unies, datée du 22 mai 2003, les fonds confisqués à l'ancien régime irakien devaient être immédiatement transférés au Fonds international de reconstruction pour l'Irak (International Reconstruction Fund Facility for Iraq - IFFRI), géré par les USA via les Nations Unies et la Banque mondiale.

Suivant une liste établie par l'ONU, l'ordonnance de confiscation du Conseil fédéral prévoyait encore en mai 2004 le blocage des fonds suisses de 74 personnalités et 204 sociétés - banques, assurances ou entreprises d'Etat irakiennes. Les nombreux recours déposés en Suisse expliquent en partie le retard dans la procédure de restitution, notent les responsables à Berne. Au seco, on signale une seule nouveauté au dossier: «Une dernière modification intervenue le 18 août 2005, qui vient rajouter sept personnes à la liste établie par les Nations Unies». Qu'en est-il des 180 millions? «Tout est encore bloqué. Une partie a été transférée en Irak: entre 6 à 7 millions, dont 3 millions, comprenant l'or restitué par Metalor, seront tout prochainement versés pour le Fonds de reconstruction pour l'Irak», précise Othmar Wyss.