ENQUÊTES
Pétrole africain: gros pipelines et petites ficelles du métier
(Genève, 07/12/2005) Un siège d'entreprise à Genève, une inscription au paradis fiscal des Iles Vierges, des passeports diplomatiques africains et le tapis rouge des autorités fédérales… Le PDG du groupe suisse Addax & Oryx connaît les ficelles du métier. Retour sur une discrète success story helvète

Gilles Labarthe / DATAS

Pas d'avenir pour les multinationales suisses en Afrique? Tout dépend des secteurs, et de la méthode. Dans le domaine du trading, de l'exploitation du pétrole et des minerais, certaines compagnies font très fort. C'est le cas d'Addax & Oryx (AOG). Fondé en 1987 par un citoyen suisse, AOG a raflé des marchés dans une quinzaine de pays du continent noir, battant parfois Shell ou BP sur leur propre terrain. Le groupe représente aujourd'hui un des premiers investisseurs et plus importants courtiers mondial de brut africain, avec 5 milliards de dollars de chiffre d'affaires, s'étonnait récemment en France le quotidien économique La Tribune. Questions à de son PDG, Jean-Claude Gandur.

Addax & Oryx a son siège à Genève, vous êtes d'origine vaudoise... Peut-on parler de votre groupe comme d'une multinationale suisse?
(Jean-Claude Gandur:) - Non, au sens de la loi, ce n'est pas une société de droit suisse. Une partie des opérations s'exercent depuis la Suisse, mais leur contrôle se fait à l'étranger.

Pourquoi avoir choisi d'inscrire votre groupe aux Iles Vierges, un paradis fiscal?
- On parle souvent des Iles Vierges comme d'un paradis fiscal, en effet. A nos débuts, en 1987, les Iles Vierges étaient très à la mode. Je ne me suis pas occupé personnellement des structures et des montages bancaires, très complexes. AOG y est simplement domicilié en tant que holding. Chaque filiale de notre groupe est taxée dans le pays de domicile de ses activités, comme par exemple au Nigeria.

Outre le trading, Addax & Oryx a de nombreuses filiales en Afrique, notamment dans la distribution de carburant ou les mines d'or. Vous-mêmes détenez plusieurs passeports africains…
- Non, j'en ai un seul. J'ai été Consul honoraire de la République du Congo à Genève pendant une dizaine d'années (de 1990 à 2001, ndlr). Ce passeport-là, je l'ai rendu. J'ai un passeport sénégalais, que j'ai obtenu comme remerciement pour la contribution de notre groupe au développement du Sénégal.

Justement, le trading de pétrole est un domaine très exposé à la corruption. Deux ONG de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch et Global Witness, mentionnent le nom d'Addax & Oryx dans leurs rapports concernant les détournements de fonds commis sous le régime Abacha, puis avec des contrats conclus en Angola…
- Quelle forme d'autorité ont ces ONG? Pour le premier cas, le rapport remonte à 1999 et nous avons reçu un document de l'Office fédéral de la justice en 2002 qui décharge notre groupe de ces accusations. Du reste, notre société n'a pas été mentionnée dans les demandes d'entraide judiciaire nigérianes. Nous avons été confrontés à des agissements isolés. Je ne peux pas être la nurse de tous mes employés. J'estime que c'est une affaire classée. Quant aux deuxième cas que vous évoquez, cela me fait plutôt rigoler: Addax n'a jamais fait un seul contrat avec l'Angola.

On parle souvent de l'Afrique comme d'un continent qui fait fuir les investisseurs… votre parcours assez exceptionnel et votre présence dans des Etats réputés difficiles (Sierra Leone, Côte d'Ivoire, Guinée équatoriale) montre qu'au contraire la réussite est possible. Quel conseils donneriez-vous à d'éventuels entrepreneurs?
- Beaucoup de prudence. Et puis aussi, aimer l'Afrique et les Africains, développer des liens plus personnels et émotionnels. Il faut aussi avoir les nerfs solides: on reçoit parfois des menaces de chantage. S'entourer de gens connus sur place, qui ont pignon sur rue. Si ensuite cela fonctionne, il n'y a nulle part au monde où on peut à ce point réussir. Ce qui m'amuse, c'est d'aller là où personne ne va. Je me sens un peu seul en République centrafricaine, où Addax reste un pionnier dans l'exploitation de l'or. J'aimerais bien développer nos activités au Libéria, il y a un très beau potentiel.

Propos recueillis par
Gilles Labarthe / DATAS


Secrets de réussite
"Le secret de notre succès est simple. Notre équipe composée de professionnels expérimentés - et travaillant avec des standard élevés - sont capables d'identifier et de rapidement saisir les opportunités d'augmenter les réserves, la production et enfin, la valeur", explique-t-on au siège genevois d'Addax & Oryx Group (AOG). En bref: grande faculté d'adaptation, rapidité de décision et responsabilité sont les atouts de la multinationale du pétrole, installée au bout du lac. Contactée à Genève, la responsable de communication Marie-Gabrielle Cajoly ne souhaite pas expliquer davantage la réussite d'Addax, société "internationale, offshorisée", selon son expression. "De toute façon, nous ne sommes pas très "pro-active" en matière d'informations sur le groupe". La discrétion est telle que même les spécialistes en perdent leur latin. Un expert étranger l'identifie comme firme anglaise. Jean-Paul Carteron, responsable du Forum économique de Crans-Montana (réunion informelle consacrée aux marchés "émergeants" comme l'Afrique ou les pays de l'Est, ouverte chaque année en présence du président de la Confédération), nous en parle comme d'une des seules "multinationale suisse du pétrole". AOG est en réalité enregistrée à "Road Town, Tortola", aux Iles Vierges britanniques. En Afrique, la multinationale du pétrole profite pourtant du tapis rouge des autorités fédérales, déroulé pour ses délégations économiques. "Le groupe AOG a plusieurs entités", justifie Marie-Gabrielle Cajoly. A Genève, le registre du commerce note par exemple que la filiale Addax Petroleum, dirigée par "Gandur Jean-Claude, de Gryon, à Londres, GB", est domiciliée à l'Ile de Man (paradis fiscal). AOG est aujourd'hui présent dans une quinzaine de pays africains, où les ressources de pétrole vont souvent de pair avec corruption et régime militaire, déplore en France l'organisation Secours catholique: Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, Sierra Leone… ne sont guère des modèles de démocratie, ni d'un partage équitable des richesses minières nationales. Autant d'Etats qui figurent parmi les plus corrompus de la planète, selon le classement de Transparency International.

GLE / DATAS