ECONOMIE
OMC: de Doha à Hongkong, quatre ans de vaines promesses
(09/12/2005) A Doha, les responsables des pays les plus riches avaient promis de réduire la pauvreté dans le monde. Quatre ans plus tard, à la veille des négociations de l'OMC à Hongkong, comment expliquer une telle absence de résultats? Réponses des experts internationaux Mary Robinson et Kevin Watkins

Gilles Labarthe / DATAS

Prévue du 13 au 18 décembre, la prochaine réunion des 148 Etats membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) n'a pas encore commencé qu'elle sent déjà le poisson pourri. "Voilà quatre ans, les pays les plus riches s'engageaient dans les négociations commerciales de Doha, présentées comme un "cycle de développement" visant à renforcer les liens entre commerce et réduction de la pauvreté. A quelques semaines de la réunion à Hongkong, l'échec des négociations risque de perpétuer une mondialisation fondée sur la coexistence d'une pauvreté massive et d'inégalités obscènes sur fond d'abondance". Après les alter-mondialistes et les producteurs du Sud, les vaines promesses de l'OMC exaspèrent maintenant Mary Robinson, présidente du projet "Realizing Rights : The Ethical Globalization Initiative" et ancienne présidente de la République d'Irlande. Avec Kevin Watkins, directeur du Rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), les deux experts internationaux expliquent les raisons d'un "échec programmé".

Dans le collimateur, le dossier explosif des subventions agricoles. "Les propositions récentes de réforme avancées par les Etats-Unis comme par l'Union européenne (UE) sont fortement biaisées. L'initiative des Américains prétend réduire les aides agricoles de 60 %. Mais de nombreux analystes estiment qu'elle aboutit en réalité à des baisses bien moindres, perpétuant un système de subventions qui se chiffre en milliards de dollars", avertissent les experts. Versements directs aux agriculteurs, programmes de crédit à l'exportation et mécanismes de subvention à déclenchement automatique seront toujours d'actualité. "Côté européen, la Commission n'a pas su soumettre une initiative plausible. Elle a proposé une "réduction" des subventions, qui n'empêcherait pas en fait de relever les aides de 14 milliards de dollars". Résultat: les Etats-Unis et l'UE n'ont dans le fond pas bougé d'un pouce. Ils s'accusent aujourd'hui réciproquement d'avoir mené les négociations dans l'impasse.

Si rien ne change en profondeur à l'OMC, les pays riches continueront à dépenser "environ 1 milliard de dollars par an pour aider au développement rural dans les pays les plus pauvres. Et la même somme, par jour, en subventions agricoles domestiques qui aggravent la pauvreté dans les économies en développement...". Un exemple de ce manège absurde? Celui de la chute des cours du coton, qui ruine des millions de petits exploitants en Afrique de l'Ouest. Pendant que les producteurs africains crèvent la misère, que se passe-t-il de l'autre ôté de l'Atlantique, aux Etats-Unis, premier exportateur mondial "d'or blanc"? "Cette année, les 25'000 producteurs de la Cotton Belt recevront plus de 4,5 milliards de dollars d'aides. En mettant les Etats-Unis à l'abri du jeu normal de l'offre et de la demande, ces subventions leur permettent de développer leur production alors même que les prix baissent".

Dénoncées depuis longtemps, ces pratiques occidentales de dumping s'étendent à une vaste gamme de produits. "A travers la politique agricole commune (PAC), L'UE offre aux producteurs de sucre l'équivalent de trois fois les prix mondiaux. Ils se sont donc mis à produire d'énormes excédents", soulignent encore Mary Robinson et Kevin Watkins. Les marchés mondiaux sont faussés, privant des pays comme l'Inde, le Brésil ou la Thaïlande de débouchés à l'exportation. Au Ghana, ce sont les importations de riz américain subventionné qui mettent en péril les agriculteurs locaux.

Gilles Labarthe / DATAS

Sauver les campagnes occidentales
L'éternel prétexte de la sauvegarde des campagnes européennes et de l'aide aux populations rurales pauvres pour justifier le système de la PAC? "Tout cela n'est qu'affabulation. Non seulement la PAC absorbe plus de 40 % du budget de l'UE et ponctionne des ressources nécessaires pour remédier à des problèmes sociaux plus urgents, mais elle creuse aussi les inégalités. En France, un cinquième des exploitations subventionnées, les plus grosses, reçoit environ les deux tiers des aides. Les grands gagnants sont les exploitations de plus de 100 hectares, notamment du Bassin parisien, et non les petits agriculteurs, toujours plus nombreux à mettre la clé sous la porte. Il en va de même dans d'autres pays de l'UE... et aux Etats-Unis", répondent Mary Robinson et Kevin Watkins. Dernier scandale en France dévoilé par Oxfam International et relayé par la Confédération paysanne: le prince Albert de Monaco aurait ainsi touché plus de 287'000 euros en 2004 au titre de la PAC.

Gilles Labarthe / DATAS