ECONOMIE
USA : comment les entreprises achètent le pouvoir
Entre 1998 et 2004, l'argent dépensé par les groupes de pression pour orienter les lois en faveur des entreprises à doublé. Selon le Center for public integrity à Washington, les principales entreprises du pays dépensent ainsi 3 milliards de dollars par an pour s'assurer « un environnement légal positif ».

Philippe de Rougemont / DATAS

Comment faire lorsque le profit de votre entreprise dépend des commandes de l’Etat ou des lois votées au Parlement ? La réponse tient en un anglicisme qui signifie littéralement « faire le couloir » : lobbying. Un phénomène encore largement méconnu des médias : « Il y a eu en 2004 10 fois plus d’articles sur le financement des campagnes électorales que sur le lobbying des élus en place... Pourtant ce lobbying représente deux fois la somme de ce qui est dépensé lors d’élections ». Roberta Baskin, directrice du Center for public integrity (CPI) faisait sa profession de foi pour la transparence en annonçant la mise en ligne de « Lobbywatch », un site internet (1) consacré aux faiseurs d’opinions à Washington. Jusqu’à maintenant, il n’existait pas d’outil pour compiler les données brutes répertoriées par la chancellerie fédérale US. Maniant le moteur de recherche du site, on entre dans la réalité des faiseurs d’opinions. Sans lobbyiste faisant le pied de grue à Washington, difficile d’obtenir une part du gâteau fédéral. Même pour les firmes étrangères. Au palmarès des budgets de lobbying classés par la nationalité des firmes-mères, la Suisse figure en 3e position. Après l’Angleterre et l’Allemagne, mais devant le Japon. La contribution cumulée des Roche, Nestlé et autres Ruag Munitions s’est ainsi élevée à 5,8 millions de dollars en 1998. Elle a atteint 11,2 millions en 2004.

Chassés-croisés entre lobby et Parlement
Les chercheurs du CPI ont croisé les données de leurs propres enquêtes avec celles provenant de la Chancellerie. Résultat ?250 noms se trouvaient tantôt sur la liste des lobbyistes, tantôt sur celle des élus au Parlement. Les 31 chercheurs du CPI ont identifié 2200 ex-officiels du gouvernement devenus lobbyistes. Les législateurs y gagnent des avantages matériels et de nombreuses entreprises trouvent profitable de les employer. Depuis 1998, Lockheed Martin (armement) a reçu plus de 94 milliards de dollars en commandes du Pentagone. Pendant les mêmes années, l’entreprise a dépensé 89 millions en lobbying. L’opération est payante, mais encore faut-il pouvoir la financer. « L’inattention du public et des médias a permis aux lobbyistes de s’imposer et de mener des campagnes qui nuisent à la démocratie ». Baskin ne l’explicite pas, mais le ton y est : on sent sa frustration de constater que les lobbies évoluent sans êtres encadrés. Ni les élus du Sénat, ni ceux de la chambre basse n’ont voulu contrôler l’activité des lobbys. Peut-être est-ce le va-et-vient permanent de personnes entre l’administration et les milieux du lobbying qui gène encore davantage ce contrôle. En Suisse, la situation est similaire : « Entre 2000 et 2002, le Parlement a débattu d’une éventuelle réglementation des lobbies, sans produire de normes » nous renseigne Marc Stücki, porte-parole au Parlement, contacté à Berne. « L’image des lobbies n’est pas très bonne, mais aujourd’hui, c’est une part de la vie de notre Parlement », commente Stücki avant de rappeler que la présence des élus fédéraux dans des conseils d’administration est dûment répertoriée et publiée. En Suisse comme aux Etats-Unis, on ne sait pas réglementer les lobbies, mais on sait les compter.

(1) www.publicintegrity.org/lobby