REPORTAGE
En 2030, un paysan sur dix pourrait produire de l'électricité
(Thurgovie, 11/03/2006) Une nouvelle profession est née dans les campagnes helvétiques: "l'énergoculteur". C'est ainsi que l'Union suisse des paysans (USP) a baptisé les agriculteurs qui produisent de l'électricité à partir de lisier et de déchets végétaux. D'ici 20 ans, un paysan sur dix pourrait en tirer des revenus complémentaires

Jacques van Hoeylandt / DATAS

Otto Wartmann est un des premiers agriculteurs suisses à s'être lancé en 1999 dans la production industrielle d'électricité. Après avoir adapté ses porcheries aux normes du label IP, cet exploitant de Bissegg (TG) a fait construire une installation de production de biogaz, reliée à deux moteurs qui transforment le gaz en électricité. L'installation a coûté un million de francs. Elle est dissimulée sous les porcheries. Le visiteur qui arrive à la ferme du "Holzhof" après avoir traversé plusieurs vergers ne remarque rien. Si ce n'est un silo vert, aux allures de grosse fusée, qui arbore le logo du Tilsit, que la famille Wartmann produit depuis 1893.

A l'intérieur, 600 mètres cube de substrat fermentent silencieusement, constitué pour une moitié des déjections des 800 porcs et des 30 vaches de la ferme, pour l'autre, de restes végétaux. "Je n'ai jamais regretté mon investissement", dit Otto Wartmann, qui a bénéficié de contributions de fonds publics. Cet énergoculteur thurgovien de40 ans fabrique aujourd'hui 800'000 KW/h de courant électrique et un million de kw/h de chaleur par an. Rien n'est perdu: la chaleur qui émane du processus de fabrication de l'électricité sert à chauffer ses bâtiments et ceux de ses voisins.

Otto Wartmann utilise un quart de l'électricité qu'il produit. Le reste, soit environ 580'000 KW/h par an, est vendu dans le réseau. A lui seul, il alimente en énergie environ 130 ménages. Discret, l'agriculteur de 47 ans ne nous dira pas ce que cette distribution lui rapporte. Une partie de ses revenus proviennent de la vente du courant. Le reste, des taxes que lui paient l'industrie alimentaire pour se débarrasser de ses déchets végétaux. "Je fais des bénéfices", ajoute-il toutefois les yeux pétillants. Tout comme les 30 exploitations agricoles qui produisent déjà de l'électricité professionnellement en Suisse.

Avec l'Union suisse des paysans (USP), Otto Wartmann voit dans la production d'électricité écologique un créneau d'avenir pour les éleveurs et agriculteurs, qui doivent se diversifier. "Par rapport à la production énergétique suisse globale cela ne représentera que quelques pourcents, mais des revenus intéressants pour la paysannerie", nous informe Heinz Hänni, responsable des questions écologiques à l'USP. Toute prévision est délicate dans ce secteur. Heinz Hänni estime que les paysans helvétiques pourraient produire 550 GW/h en 2030, soit l'équivalent des besoins de 110'000 ménages par an. Entre 500 et 1000 unités d'une puissance de 0,5 à 1 GW/h pourraient être mises en place dans les fermes. Quelque 10% des agriculteurs qui existeront encore en 2030 pourraient en tirer des profits.

Un scénario d'avenir? Oui, à condition que le prix du pétrole reste élevé. Il faudra aussi motiver suffisamment de paysans à s'investir dans ce nouveau métier. Le créneau ne se développera que si les paysans sont rétribués au prix coûtant de leur électricité, explique Stefan Mutzner, le directeur d'Ökostrom Schweiz, l'organisation faîtière des paysans producteur d'électricité. Actuellement, ces derniers vendent le KW/h au prix du marché, soit 15 centimes, alors que sa production coûte environ 25 centimes. Ökostrom Schweiz et l'USP font pression sur le Parlement pour qu'il accepte la nouvelle loi sur l'énergie, actuellement en discussion, qui prévoit de rétribuer les producteurs d'énergies renouvelables à un meilleur tarif.

Jacques van Hoeylandt / DATAS

(Encadré)
A Fribourg, un intérêt croissant pour les énergies renouvelables
Seul un agriculteur produit actuellement de l'électricité à partir de biogaz en Suisse romande, à Chexbres (VD). Thomas Schnyder est quant à lui l'unique Fribourgeois à s'y être mis pour l'instant. Dans sa ferme de Bösingen en Singine, il produit environ 200'000 KW/h par an. L'agriculteur de 37 ans prévoit d'agrandir prochainement son installation de production. Il revend entre un tiers et la moitié de l'énergie dans le réseau. Selon Daniel Blanc, directeur de la Chambre d'agriculture fribourgeoise, "les agriculteurs s'intéressent de plus en plus à produire des énergies renouvelables". La Chambre est en train de mettre sur pied un groupe de travail pour réfléchir à ces questions et conseiller les paysans. "Nous ne devons pas louper le coche!", ajoute M. Blanc.

Jacques van Hoeylandt / DATAS