MONDE
Non-assistance à populations en danger
Deux millions de personnes dont un demi-million d’enfants vivent dans les zones contaminées par l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl. En Biélorussie, pays qui a reçu 70% des retombées, les moyens déployés pour venir en aide aux personnes sont variés, comme le sont les bilans sur les conséquences sanitaires de la catastrophe.

Philippe de Rougemont / DATAS

En septembre passé, le Forum Tchernobyl composé de la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine, et de huit institutions spécialisées des Nations Unies, dont l’OMS et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) ont publié un rapport de 600 pages intitulé “ L'héritage de Tchernobyl ”. Peut-on mettre en doute l’impartialité de cette recherche qui annonce que “jusqu’à 4’000 personnes au total pourraient à terme décéder des suites de l'accident ” ? Malheureusement oui : dans un reportage de la Télévision suisse italienne intitulé “ Mensonges nucléaires ”, l’ancien directeur de l’OMS M. Nakajima, a reconnu que “ toutes les agences spécialisées de l’ONU sont hiérarchiquement égales, mais pour les affaires atomiques, c’est l’AIEA, directement sous l’autorité du Conseil de sécurité, qui commande. ” Ce qui signifie que les recherches de l’OMS concernant la radioactivité doivent statutairement obtenir l’aval de l’AIEA avant de pouvoir être publiés. Aussi, les gouvernements Russes et Biélorusses membres de la direction du Forum ont depuis 1986 adopté une posture de minimisation des conséquences, licenciant et parfois même emprisonnant des hauts fonctionnaires qui, chiffres et études a l’appui, donnaient une autre version que la langue de bois officielle.

Trois siècles
Que disent ces autres versions ? D'abord, que la contamination est là pour rester. Trois siècles, c’est le temps nécessaire pour que le Césium 137 perde la moitié de sa radioactivité. Etant donné que personne ne préconise l’évacuation de 2 millions d'habitants vivant dans les zones contaminées par la catastrophe, l’essentiel de l’attention doit être donnée aux victimes d’un environnement devenu potentiellement dangereux. Potentiellement, parce que le risque peut être fortement réduit si la population exposée adopte certains comportements adaptés, notamment dans la manière d'apprêter les aliments. Autre remède connu pour diminuer le taux d’irradiation des organes internes chez les enfants : les cures de pectine de pommes.

Vassili Nesterenko, physicien et ancien directeur de l’Institut de l’énergie nucléaire de l’Académie des sciences de Biélorusse, a été déchu de son poste après avoir alerté les autorités sur l’étendue des conséquences sanitaires de Tchernobyl. Depuis, il a fondé l’Institut Belrad, menant des enquêtes d’épidémiologie sur les enfants, et distribuant de la pectine dans les écoles biélorusses. Déjà en 2004, le Swiss medical weekly, publication officielle de l’association suisse de médecine interne, a consacré deux articles relatant le succès des cures de pectine. La diminution du niveau de Césium 137 a été de 62,6% chez les enfants prenant de la pectine, et de 13,9% pour ceux ayant pris un placebo.

Mensonge
Nous avons interrogé Wladimir Tchertkoff, journaliste, auteur du livre “ Crime de Tchernobyl ” paru début avril (1). Il raconte notamment comment “ des femmes d’ambassadeurs des pays occidentaux en Biélorussie, déplorant l’absence de soutien officiel, ont créé un club pour réunir des fonds pour les campagnes de Belrad, menacé par un manque constant de financement ” (2).

Comment expliquer ce désintérêt alors que les fonds ne manquent pas pour les travaux du Forum Tchernobyl ? Selon Tchertkoff, “ le lobby atomique international ne veut pas reconnaître l’étendue de la catastrophe, parce que si on la reconnaissait, l'énergie atomique n'aurait plus droit à l'existence ”. Cela révèlerait aussi le mensonge des seuls 4'000 morts mis en avant par les rapports officiels. Le régime autoritaire d’Aleksandr Lukashenko en Biélorussie serait ravi d’effacer les 20% de son budget affecté aux conséquences de Tchernobyl. Autre interprétation provenant de Nesterenko, interrogé sur le même sujet : “ Les conséquences de l’accident sont telles que l’Etat biélorusse ne serait pas en mesure de les affronter économiquement ”.

(1) « Le crime de Tchernobyl : Le goulag nucléaire » Wladimir Tchertkoff, Actes Sud, 2006, 717 pages

(2) Pour soutenir Belrad: http://enfantsdetchernobylbelarus.doubleclic.asso.fr

Encadré 1
DDC : la seule contamination, c'est la pauvreté ?

Le programme suisse de soutien aux populations en zone contaminée est dirigé par la Direction du développement et de la coopération (DDC). A la question de savoir si le bureau de la DDC soutient le travail de Belrad, Thomas Jenatsch, porte-parole, nous répond que le soutien médical individuel ne fait pas partie de leurs programmes. “ Nous voulons passer de l’aide humanitaire à l’aide au développement, de la victimisation à l’activation d’initiatives locales pour développer l’économie. Les gens en Biélorussie ont reçu pendant des années une aide de l’Etat comme une récompense, mais on croit que l’effort doit dépasser l’aide ”. La DDC a-t-elle accédé aux demandes de soutien de Belrad ? “ Nous n’avons pas de coopération étroite avec M. Nesterenko, nous ne partageons pas son approche, il faut plutôt activer le redécollage de la région au lieu de distribuer des médicaments ”. M. Jenatsch met en avant les projets mis sur pied ou soutenus par la DDC en Biélorussie pour améliorer la vie des populations les plus socialement vulnérables et développer les infrastructures médicales, les services de pompiers et la préparation en cas de catastrophe. La DDC remet-elle en cause l’efficacité de la pectine ? “ Non, nous ne sommes pas contre, mais ce n’est pas notre manière de travailler. On ne veut pas travailler sur des programmes isolés, mais plutôt conscientiser la population sur comment vivre en zone radioactive ”. A y regarder de plus près, ce langage de la DDC n’est pas loin des termes employés de façon récurrente dans les documents du Forum Tchernobyl. Extrait : “ Le vrai danger, c’est la pauvreté. Nous devons prendre des mesures pour aider les gens à se prendre en charge ”. Alors, soumission de la DDC aux choix de Minsk ? Pression de l’industrie nucléaire suisse ? Solidarité avec les organisations onusiennes, AIEA en tête ? Difficile de comprendre la double position de la DDC, qui reconnaît le travail de l'Institut Belrad tout en lui refusant son aide. Pourtant, avec13'000 euros par mois, le budget total de l’organisation de Vassili Nesterenko est risible à côté des 16,5 millions de francs dépensés par la Direction du développement et de la coopération ces 5 dernières années en Biélorussie.

Encadré 2
ANALYSE
Demi mea-culpa des médias

Les médias sont largement revenus sur le manque d’information en 1986 concernant l’étendue véritable des nuages en provenance de Tchernobyl en France et en Suisse. A l’époque, les données alarmantes fournies par les chercheurs indépendants de l’institut CRIIRAD étaient discréditées. Aujourd’hui, la presse internationale fait un implicite mea-culpa sur leur manque de recul face aux informations communiquées par les autorités publiques et relayées sans commentaire il y a vingt ans.

Plus récemment, ce sont les plus gros quotidiens étasuniens, le New York Times en tête, qui ont avoué - explicitement cette fois - qu’en 2002 et 2003, ils avaient retransmis comme les autres médias nord-américains les justifications pour une guerre en Irak tels qu’elles étaient formatées par la Maison Blanche et le Pentagone. Aujourd’hui, ce retard semble rattrapé, les médias rapportant aussi les exactions commises par l’armée et les geôliers US en Irak et en Afghanistan.
Dans le cas de Tchernobyl, on peut relever par contre que le mea-culpa des médias sur leur aveuglement de 1986 ne va pas jusqu’à éviter de nouvelles absences et complaisances.
Pour exemple, le rapport du Forum Tchernobyl sur les conséquences de la catastrophe. Les conclusions du rapport ont été reprises comme parole d'Evangile par les médias. Les termes du communiqué de presse de l’AIEA ont été copiés à la lettre, sans même que les journalistes aient eu accès à l'ensemble du rapport et sans qu'ils informent le lecteur des fortes présomptions de désinformation qui entache la réputation du Forum Tchernobyl.
Mais le plus important dans ce déferlement de chiffres, c’est ce qui se passe de l’autre côté des tableaux statistiques. Qui a porté son attention sur les soins que l'on peut apporter aux personnes affectées par les radiations ? Aucun média francophone, à part des journaux associatifs et Le Monde (édition du 25 courant) n’ont traité de l’efficacité des cures de pectine. Lira-t-on enfin dans la presse dominante, en 2026, que “ Soulager ou soigner les personnes irradiées, on savait le faire en 2006, mais rien n’à été fait à l'époque pour venir en aide ” ? Wladimir Tchertkoff nous précise que son livre “ Le crime de Tchernobyl ” pourra toujours servir au cours d’un prochain procès pénal.