SAVOIRS
Ces poids lourds qui carburent à l'huile
(21/06/2006) Dans la gamme des biocarburants, l'huile végétale pure (HVP) est encore largement sous-exploitée. Elle présente pourtant de nombreux avantages: excellent rendement énergétique, neutre en matière d'émissions de gaz à effet de serre, on peut même la produire de manière artisanale pour remplacer à 100% le diesel en installant un kit de préchauffage. Expériences

Gilles Labarthe / DATAS

C'est une expérience originale qui se déroule dans la Communauté de Communes du Villeneuvois (CCV), dans le Lot et Garonne, au Sud-Ouest de la France. Depuis bientôt neuf mois, des habitants exploitent un mélange de gazole et d’huile végétale pure (HVP), extraite du tournesol et produite localement. Introduite à hauteur de 30%, cette huile pressée à froid fait carburer une dizaine de poids lourds du service de la voirie. Les véhicules sont des camions bennes prototypes Renault, avec des moteurs tout à fait communs. Les performances, elles, sont au-delà des espérances, se réjouit la CCV. Le premier bilan semestriel, dévoilé en avril dernier, a confirmé l’absence d’usure des moteurs diesel et une pollution réduite des gaz d’échappement. Certains camions ont parcouru près de 13'000 km, avec des charges et sur des tissus routiers différents. " Aucune panne liée à l’utilisation d’HVP n’a été enregistrée. Pas de problème mécanique. Pas de détérioration des moteurs", explique un responsable. Au total, 86'216 km ont été franchis sans encombre. La CCV, qui regroupe 10 communes et 43'000 habitants du Lot et Garonne, passe aujourd'hui à la vitesse supérieure en introduisant 100% de HVP dans les moteurs. Rouler à 100% à l'huile? C'est possible. Pour cela, il suffit d'équiper les camions de "kits de préchauffage que nous avons fait venir d'Allemagne, afin de monter l'huile à bonne température pour démarrer," nous précise Olivier Dourthe, chef de cabinet de la Communauté de Communes du Villeneuvois. L'opération ne nécessite que deux jours d'installation. Depuis début juin, trois poids lourds sont déjà prêts. Si les résultats sont concluants, la CCV prévoit d'étendre à tout son parc de véhicules municipaux (une quarantaine) l'utilisation du HVP. Mais au fait, qui fabrique du HVP dans la région? "C'est très simple: nous recueillons de l'huile de tournesol produite à neuf kilomètres de notre centre administratif, explique Olivier Dourthe. Avec trois kilos de graines, on obtient un litre d'huile". Face à l'expérience innovante du HVP en Lot et Garonne, Olivier Dourthe reconnaît qu'il y eu a des résistances. "Bien sûr, certains essaient de faire croire aux gens que le HVP, ça ne fonctionne pas… mais ça marche, et les agriculteurs ont bien compris l'avantage qu'ils pouvaient en tirer. Et puis, ils se disent: si ça roule pour des camions, ça doit aussi marcher pour ma voiture, et celle de mon fils…". Il faut dire que cette "filière courte" (production, vente et consommation locales) du HVP intéresse beaucoup le milieu paysan et agricole du Sud-Ouest, largement déficitaire: "elle peut être maîtrisée par les producteurs d'oléagineux eux-mêmes. Il suffit en effet de trois manipulations artisanales (trituration, décantation, filtration) pour obtenir l'huile directement utilisable à la combustion, ainsi qu'un tourteau directement assimilable en complément d'aliment pour les animaux", souligne le partenaire officiel de cette expérience, l’Institut Français des Huiles Végétales Pures (IFHVP), qui représente aujourd'hui la seule structure en France poursuivant l’objectif du développement de l’HVP carburant et organisant des "séminaires de formation" pour un réseau d'intéressés européens.
Alors, le Lot et Garonne, pionnier du HVP? La situation est en tout cas unique dans tout le pays. Elle se heurte aux résistances des autorités régionales, comme des constructeurs automobiles. En France, curieusement, le HVP reste le grand absent de l'état des lieux sur les biocarburants publié par le Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie ("Les enjeux des biocarburants en France, 20 février 2006). L'utilisation de l'HVP comme carburant a longtemps été interdite, même pour les engins agricoles. "Et pour les voitures, c'est à vos risques et périls: si vous adaptez votre moteur au HVP, les constructeurs automobiles vous retireront la garantie du véhicule…", note un utilisateur. Encore en janvier 2006, un communiqué du Comité des Constructeurs Français d'Automobiles (CCFA) rappelait son opposition à l'utilisation des HVP dans les moteurs diesel. " Cette situation met d’ailleurs l’Etat en porte-à-faux avec la directive européenne 2003/30 sur la promotion des biocarburants, signée le 8 mai 2003 et entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2005", souligne à Paris le centre d'études Novethic. Sous la pression des grandes industries, même le Préfet du Lot et Garonne a saisi en février 2006 le tribunal administratif de Bordeaux afin d’annuler le projet de la CCV. En vain, semble-t-il. Alternative bien meilleur marché que les biocarburants "classiques" comme le diester (ou biodiesel, mélange à hauteur de 5% d'huile végétale de colza commercialisé par des groupes pétroliers comme Total), l'éthanol ETBE ou E85 (idem), le HVP fait son petit bonhomme de chemin en tant que produit de substitution complet. 3'000 véhicules roulent déjà au HVP en Allemagne. Une "solution de rechange" qui intéresse aussi la Suisse romande, mieux équipée que la France pour effectuer les derniers réglages nécessaires avant le passage à l'huile…

Gilles Labarthe / DATAS


Produire et consommer local
Un franc le litre… Le HVP, c'est bien moins cher que du diesel ou du diester vendu à la pompe. L'huile peut être élaborée directement, et de manière artisanale, sur le site des exploitations agricoles, sans passer par un processus de transformation industriel… Encore faut-il trouver des unités de production près de chez soi, et observer quelques règles: préchauffer l'huile pour limiter les phénomènes de viscosité, par exemple. En France voisine (départements du Jura, de l'Ain, Haute-Savoie), malgré les obstacles que l'Etat et les industriels dressent contre le HVP comme biocarburant, de multiples expériences privées sont en cours. Les blogs, forums sur Internet et autres centres d'information (1) regorgent de conseils très précis ou d'anecdotes édifiantes sur la marche à suivre. Un automobiliste, qui se présente comme "jeune huileux de Haute-Savoie" recommande ainsi, à Genève, le garage Fenec 4X4 qui installerait des kits de bio-carburation. Il faut évidemment les importer: les kits ne sont pas distribués en France... "A Genève, une trentaine de voitures roulent déjà au HVP, informe Nicolas Ghezzi, aussi tenté par étendre l'expérience à Neuchâtel. Au départ, mon collègue genevois Nicolas Pahud (du garage Fenec 4X4, ndlr) avait juste prévu 1'000 litres d'huiles, pour rigoler. Il y a eu tellement de demandes qu'il a dû louer un local pour stocker l'huile". Une fois le kit de préchauffage installé (compter environ 750 francs, plus 4 heures de main d'œuvre), on peut effectuer les démarrages à l'ester ou au diesel, puis basculer sur le HVP. "C'est un très bon carburant. Et puis, sentir des odeurs de friture à un feu rouge, c'est quand même plus sympa", s'amuse Nicolas Ghezzi. En Suisse, un des rares centres de distribution se trouve près d'Olten: Biodrive AG, à Lenzburg. A Lausanne, le syndicat paysan Uniterre, qui défend une agriculture durable, mentionne des expériences locales au biodesel ou à l'éthanol, mais ne connaît pas de cas similaires en HVP. A Alterswil, le président de l'Union des paysans fribourgeois (UPF) Josef Fasel confirme l'intérêt de son association pour les biocarburants en général. "J'ai d'ailleurs déposé une motion il y a moins d'une année pour que l'Etat s'engage plus dans cette voie. Elle a été rejetée. "Trop cher, trop compliqué…" c'est ce qui m'a été répondu". Josef Fasel note cependant que le trafic public en ville de Fribourg roule déjà en partie avec des biocarburants. Quant à l'UPF, elle envisage de mettre sur pied "un bureau ou une agence" pour relayer des conseils et des informations. Autre projet: "construire une usine pour fabriquer du méthanol", qui privilégierait bien sûr la production et la consommation locales.

Gilles Labarthe / DATAS

(1) Pour en savoir plus: www.vegetol.org, communauté virtuelle des utilisateurs de HVP; le réseau d'information basé à Genève www.oliomobile.org; le forum www.roulemafleur.free.fr; le site commercial www.biodrive.ch