REPORTAGE
Profession: collectionneur de tomates
Comment préserver la biodiversité d’une quarantaine de variétés de tomates tout en assurant la pérennité de son exploitation agricole ? A la Ferme des Olivades, dans le sud-est de la France, une expérience pionnière met en synergie depuis 2001 " consom’acteurs " et producteurs. Reportage

Emma Tassy / DATAS

Ollioules, ceinture verte maraîchère à quelques pas de la mer et de Toulon, dans le Var. A la Ferme des Olivades, une exploitation familiale étendue sur dix hectares de vergers, de serres et de légumes en plein champ, c’est le jour de distribution hebdomadaire des paniers. Rose de Berne, Ananas, Cœur de bœuf, Lime Tomate, Green Zebra… Nous sommes en pleine saison des tomates, qui court de juin à fin octobre, et les cageots débordent de variétés à faire pâlir les plus grands chefs. Au menu potager de la semaine, un panier bien rempli : entres autres oignons, poivrons, aubergines, basilic " marseillais ", oeufs, abricots, pêches et brugnons, 7 kg de tomates rouges et anciennes. Tout ressemble à de la vente directe, mais si l’on observe bien, c’est un contrat bien particulier et d’une redoutable simplicité qui unit les producteurs Daniel et Denise Vuillon à un groupe de consommateurs avertis et solidaires. Car en effet, comment diable pouvoir assurer telle abondance et diversité qui, si l’on ne s’en tient qu’aux tomates, coûterait cinq fois plus cher sur les marchés bio parisiens ?

Une simple équation
" On prend les charges fixes de notre entreprise, on les divise par le nombre de familles partenaires de l’association de consommateurs et on obtient le prix d’un abonnement pour six mois ou un an de paniers hebdomadaires ", expliquent Daniel et Denise Vuillon, maraîchers et pionniers dans l’introduction en France des AMAP (Association pour le maintien d’une Agriculture Paysanne). C’est précisément dans la ferme varoise des Olivades que ce système d’engagement mutuel entre un producteur et un groupe de consommateurs voit le jour en 2001, en pleine crise de la vache folle, car " tous ces systèmes naissent aux moments des crises ", précise Denise. Aujourd’hui, grâce à cette Amap au sein de laquelle 190 familles réparties sur Aubagne et Ollioules s’engagent sur six mois renouvelables à venir s’approvisionner chaque semaine en paniers, les producteurs ont du travail toute l’année. Finies les saisons creuses pendant l’hiver. Le prix du panier résulte d’une moyenne sur la saison. Un système qui permet surtout de récupérer le temps alloué jadis à la commercialisation lorsque la ferme fournissait les supermarchés, de se concentrer sur la production et ainsi redéployer des variétés locales qui n’ont plus de place dans les linéaires de la GMS (Grande et Moyenne Surface). Aujourd’hui, seules quatre variétés de tomates sont consommées dans le monde. Les Vuillon, eux, cultivent une cinquantaine de variétés vendues à l’Amap. Passion ? Lubie ? Ou simple constat que 15% de la consommation mondiale concerne les tomates, lesquelles ne se résument plus qu’à trois variétés, dont le critère du goût n’arrive qu’en 7ème position dans la recherche agronomique…

Pionnier de la tomate gustative
Riches en vitamine C, d’une teneur en eau de 95% comparable à la pastèque mais deux fois moins sucrées, les tomates auraient des vertus anti-cancéreuses avérées. Celles que propose aujourd’hui la Ferme des Olivades offrent une panoplie de couleurs, de formes et de goûts inédits. La Cœur de bœuf, grosse, rouge et rose possède une chair sucrée et persillée. La Rose de Berne, juteuse et très parfumée, présente une peau fine et une haute teneur en sucre. La Zébrée verte, sucrée salée, reste ferme en bouche et légèrement vinaigrée. L’Ananas, jaune orangé, rappelle la saveur du fruit éponyme. Autant de variétés rares qu’il convient de déguster crues, avec un filet d’huile d’olive vierge et de la fleur de sel, pour en saisir toute la saveur et toutes les vitamines.
Mais revenons sur les origines de cette corne d’abondance. " En 1991, quand les enseignes ont décidé de ne commercialiser que des tomates hors-sol, nous avons été atterrés. Il fallait faire un choix et nous avons décidé d’arrêter de servir les supermarchés et de continuer à faire des bonnes tomates en faisant venir des semences via un réseau de collectionneurs ", explique Denise Vuillon. Un réseau dense qui ne se limite pas qu’à l’Hexagone : les Vuillon se tournent vers les semenciers français défenseurs de la biodiversité, dont l’actuel Kokopelli, mais adhèrent également au réseau de collectionneurs américains Seedsaver Heritage. Certaines des variétés qu’ils font venir sont littéralement sauvées des eaux, comme la Noire Charbonneuse qui n’était plus produite que par un cultivateur américain. " Au départ, précise Daniel, les Etats-Unis possédaient une biodiversité incroyable grâce aux immigrants qui débarquaient avec des graines dans leurs poches et faisaient pousser dans leur jardin les tomates vertes d’Allemagne, les rouges du sud de l’Europe ou encore les blanches de Belgique ". En même temps, lors de la Révolution d’Octobre, les agronomes russes migrant aux Etats-Unis apportent avec eux leur passion de la tomate dont l’Ukraine est un des berceaux. Aujourd’hui, 7400 variétés sont congelées au Conservatoire des Espèces Mondiales de Saint Petersbourg. Les Vuillon démarrent donc avec une petite production, à perte, car les mentalités s’avèrent rétives à ces drôles de fruits bigarrés. Mais peu importe, le travail de promotion est lancé et en 1994, Alain Ducasse les invite au Louis XV à Monaco pour venir parler de la biodiversité et surtout leur confier sa colère de n’avoir goûté une seule bonne tomate depuis le début de la saison. Le chef les encourage et, en 1997, l’événement se crée autour d’une " Fête de la Tomate " qui va battre son plein jusqu’en 2003, date à laquelle l’activité de l’Amap, lancée deux ans plus tôt, les rattrape et réduit fortement les stocks nécessaires à l’événement. Très vite, la Ferme des Olivades travaille avec la haute gastronomie et livre les chefs de Genève, Bruxelles, Londres et Paris. Ironie du sort, ce commerce de la tomate ancienne – qui en 2003 s’élève à 60 tonnes – est en parfaite illégalité, les variétés n’étant pas inscrites au catalogue officiel français. Mais là encore, peu importe. En 2004 enfin, l’aventure de cette autre économie se consolide : la ferme produit à 100% pour l’Amap, et les Vuillon, déjà loin des livraisons à la GMS, quittent également la vente aux grandes tables.

Se positionner comme " producteur nourricier "
" Il ne s’agit pas de commercialisation, mais de partage de valeurs, de nourriture, de proximité et de maintien des savoir-faire, explique Denise Vuillon. L’Amap est un système qui repose sur la ressource humaine et qui a pour vertu de responsabiliser et les producteurs et les consommateurs. " Tous les ans, un travail de collection de certaines espèces est ainsi entrepris par Daniel, qui ne concerne pas que les tomates mais encore les poivrons ou les courges, dont " 800 variétés sont laminées par Halloween ", ainsi que de nombreuses herbes du potager. Protéger et relancer la Verte de Tante Rubis, une tomate probablement introduite par une immigrée allemande aux Etats-Unis, va donc de pair avec la pérennisation du système d’échange des Amap. En Provence-Alpes-Côte-d’Azur, une région où 15 000 exploitations ont disparu en à peine cinq ans, les Amap s’élèvent déjà à une centaine, soit 15 000 " consom’acteurs " et 185 fermes sauvegardées. Travail de titan, surtout lorsqu’une nouvelle génération de " travestis de tomates anciennes " apparaît dans les supermarchés, venant concurrencer l’offre paysanne. Car en effet, lorsque le marché de niche des tomates gustatives est apparu, la grande distribution s’est intéressée à l’offre qu’elle pouvait développer à son tour. Elle a lancé des essais de comportement hors-sol et petit à petit sont apparus des " cousines " de tomates plein champ, produites à grande échelle et bien loin de la qualité gustative des premières. A présent, nombreux sont les semenciers qui tentent de maîtriser la juteuse filière en vendant essentiellement à des producteurs, eux-mêmes en cheville avec la GMS. Filière pérenne ? Oui, si l’on en croit certains producteurs ayant constaté un phénomène de " goût visuel " chez le consommateur qui, par le truchement de sa mémoire gustative, ressent le goût d’une tomate ancienne même si celle-ci est née…hors-sol !



Pour en savoir plus : www.olivades.com