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MÉDIAS
Pour un journalisme citoyen, une information responsable
(15/10/2006) Pressions économiques, concurrence effrénée des journaux gratuits, dérives de l’info-zapping et de l’info-spectacle… comment se réapproprier aujourd’hui le métier de journaliste, celui qui remplit un rôle social, propose des informations utiles, contribue de manière constructive au débat démocratique ? Réponses de Jean-Luc Martin-Lagardette, qui vient de publier "L’information responsable" aux éditions Charles Léopold Mayer
Gilles Labarthe / DATAS
" Un journal, c’est de la publicité avec quelques articles autour ". Cette définition de haut vol s’applique chaque jour davantage, non seulement aux nouveaux quotidiens de la presse gratuite qui ont envahi la Suisse romande, mais aussi à d’autres titres payants en mal d’inspiration. Info-spectacle, info-divertissement… tout est mis en œuvre pour que nos cerveaux ramollis soient mis en condition, prêts à absorber des messages publicitaires. Si le lecteur n’y prend garde, il risque d’avoir du mal à trouver à l’avenir des journaux suisses qui lui parlent encore de sujets en relation avec sa vie quotidienne.
C’est pour décrire les conditions qui permettraient de rapprocher les journalistes et les lecteurs autour des notions de citoyenneté que le spécialiste français des médias Jean-Luc Martin-Lagardette vient de publier un ouvrage : L’information responsable. Un défi démocratique (1).
La notion de journalisme responsable peut sembler nouvelle. Or, la mission d’information du journaliste ne date pas d’hier : " elle remonte à l’invention même de la presse écrite, au siècle des Lumières ", souligne l’auteur. Elle a été remise sur l’atelier au début du 20ème siècle, pour lutter contre le bourrage de crâne de la Première guerre mondiale, l’antisémitisme entre les deux guerres, puis la collaboration avec l’Allemagne nazie.
" A la Libération, de nombreux projets furent élaborés pour tenter de créer un véritable " statut de la presse ", rappelle Jean-Luc Martin-Lagardette. Objectif : inscrire dans la loi son rôle de " service d’intérêt public " et garantir son indépendance autant vis-à-vis du pouvoir politique que de l’argent. Sans suite.
Et aujourd’hui ? La conception de journalisme responsable s’est, au moins, enrichie. Elle stipule entre autres que le lecteur doit avoir son mot à dire sur les sujets qu’il attend que la presse écrite traite, et sur la manière - rigoureuse ou non - dont les journalistes pratiquent leur métier.
A cet égard, le devoir de vigilance s’impose toujours. Pour comprendre les conflits actuels au Proche et au Moyen-Orient, lecteurs et journalistes doivent résister au bourrage de crâne qui nous est servi par le gouvernement de George W. Bush. Mais nous devons aussi résister à la pression croissante qu’exercent aujourd’hui les multinationales sur le journalisme d’investigation.
Quand l’émission Le droit de savoir (TFI) enquête sur le travail au noir, rien ne filtre dans leur édition du 10 janvier 2006 sur un des milieux les plus exposés au phénomène : les bâtiments et travaux publics (BTP). TFI est détenu à presque 40% par le groupe Bouygues, un des leaders mondiaux du BTP.
La collusion d’intérêts aboutit également à la censure sur d’autres dossiers : " l’amiante, qui cause entre 3 et 5 milliers de morts chaque année en France ", note l’auteur. Il a fallu un rapport officiel du Sénat publié en octobre 2005 pour que les principaux médias français osent sortir de leur réserve : les grandes entreprises qui ont pollué à l’amiante (Alcatel, Eternit, EDF, Cogema, Alstom…) sont aussi de gros annonceurs. Même rétention d’information, censure ou autocensure, sur la prévention ou les soins alternatifs du cancer, qui provoque pourtant plus de 410 décès par jour en France : institutions médicales et firmes pharmaceutiques occupent le terrain.
En Suisse, les médias apprennent depuis peu à parler du réchauffement climatique. On ne fâche pas certains lobbies. Il existe donc peu d’enquêtes sur les constructeurs automobiles, les agences immobilières, les assurances ou les banques - sans parler de l’horlogerie de luxe ou de la bijouterie… Doivent-ils, au nom de leur relation avec des groupes de presse, passer hors champ du travail d’investigation que l’on attend des titres quotidiens ?
Pour qu’un journalisme responsable survive, Jean-Luc Martin-Lagardette souligne plusieurs conditions. Outre le soutien critique des lecteurs à une presse indépendante, les journalistes peuvent aussi compter dans leur travail de décryptage sur l’appui de spécialistes des médias, d’associations (Acrimed, Aqit…) ou d’observatoires (Observatoire international des médias, OIM, lancé au Forum social mondial de Porto Alegre en 2002 ; Observatoire français des médias, OFM, 2003).
Le fameux " contrat social " qui unit lecteur-citoyen et journaliste-responsable autour de la mission d’informer sur des sujets en phase avec notre vie quotidienne, pourrait alors être revalorisé " par un label de qualité ", suggère Jean-Luc Martin-Lagardette, mis en place indépendamment des sociétés d’éditeurs ou de groupes de presse, " qui sont à la fois juge et partie ".
La Suède est un des rares pays à avoir institué un ombudsman de la presse, défendant le droit à l'information de ses concitoyens. " En France, nous voulons mettre en place un Conseil de la presse, à l’image de ce qui existe en Suisse ou au Québec. Il faudrait inclure le public dans cette instance ". Une sensibilisation du lectorat, des audits de la presse, une réflexion des journalistes sur leurs conditions de travail, de construction et de production de l’information paraissent aussi indispensables, tout comme un échange en réseau, sur Internet, des " bonnes pratiques ".
Des journalistes se mobilisent déjà dans ce sens, au niveau international. Malheureusement, la presse n’aime pas trop parler de ce qui se passe dans ses cuisines, constate le spécialiste. Encore un sujet qui tombe trop souvent sous le coup de la censure, ou de l’autocensure.
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(1) Jean-Luc Martin-Lagardette, L’information responsable. Un défi démocratique, éditions Charles Léopold Mayer, Paris, 2006.
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