SOCIÉTÉ
Un salon international pour " vendre " le continent noir
(Genève, 13/09/2006) On trouve de tout dans les Nations unies, même une toute récente Organisation mondiale du Tourisme (OMT). Avec d’autres institutions comme la Banque mondiale, l’OMT soutient le rendez-vous professionnel et privé TourismAfrica2006, qui se déroule jusqu’au 15 septembre à Palexpo à Genève. Une première : ce meeting est entièrement consacré à l’expansion de l’industrie de découverte et des loisirs en Afrique

Gilles Labarthe / DATAS

Pas facile de mettre sur pied à Palexpo une manifestation entièrement consacrée au tourisme en Afrique. Le continent noir se trimbale une mauvaise image, dans les médias et dans les esprits. Faire venir en Suisse des professionnels ou des exposants africains, c’est aussi se heurter à la lenteur administrative des Etats du continent noir. Comme à celle, sans doute aussi remarquable, des autorités suisses, pour la délivrance de visas aux ressortissants du Sud. Alors, pourquoi ce nouveau " TourismAfrica2006 ", rencontre internationale réservée aux professionnels qui s’est ouverte le 10 septembre à Genève et dont la partie " exposition " (seuls 3’000 mètres carrés de stands sur les 102'000 que compte Palexpo) s’inaugure aujourd’hui ? D’abord, parce que la société privée genevoise créée l’a dernier pour concevoir et organiser la manifestation (Strategic Business Meeting SA, SBM) entend surfer sur une remarquable lame de fond : agence méconnue de l’ONU, l’OMT planche depuis plusieurs mois sur des scénarios ambitieux d’expansion de l’industrie de découverte et des loisirs en Afrique (lire encadré). A n’en pas douter, beaucoup de moyens seront débloqués ces prochaines années par les Etats africains comme par les organisations internationales. Les programmes de financement devraient intéresser tours opérateurs et investisseurs privés, que les responsables de " TourismAfrica2006 " ont dores et déjà convié à Genève. C’est aussi l’occasion de rappeler quelques vérités, toujours bonnes à entendre : sur 53 Etats que compte l’Afrique, seule une poignée reste victime de conflit armés. Même si le tourisme international à destination du continent noir, et de l’Afrique subsaharienne en particulier, reste embryonnaire, son expansion semble porteuse d’espoir. Certes, l’Afrique représente seulement " 4% du tourisme mondial pour tout un continent, soit un tiers de ce que reçoit la France chaque année ", note Abderrahmane Bensid, directeur de projet à SBM. Mais c’est un fait : l'industrie du tourisme connaît partout une expansion remarquable. " Avec une croissance de 11% en 2005, l’Afrique a enregistré au niveau mondial la plus forte croissance en terme d’arrivées internationales. En 2005, le continent a reçu 36,8 millions de visiteurs, soit 10 millions de visiteurs de plus qu’en 2004. En 2006, le secteur touristique devrait représenter 9,9% du PIB africain et créer 16'060’000 emplois (7,8% du marché du travail) ", annoncent les responsables de l’événement.
Alors, le tourisme de masse, bon pour le développement ? Tout dépend quel tourisme, avertissent depuis une vingtaine d’année des experts en coopération internationale (lire encadré). En attendant, les projections effectuées par les organisations internationales se veulent prometteuses : " l’Afrique présente un fort potentiel touristique : le nombre de visiteurs passera à 47 millions en 2010 et à 77 millions en 2020 selon les estimations actuelles. Ce volume pourrait être en hausse si un certain nombre d’actions étaient entreprises ", poursuit Abderrahmane Bensid. Parmi les impératifs : améliorer les conditions de sécurité des touristes, l’image du continent, les infrastructures d’hébergement, l’offre des loisirs, et les transports. En gros, satisfaire les attentes des touristes européens qui, héritage colonial oblige, constituent encore plus de 80% de la clientèle. Pour cela, il faut mettre en contact porteurs de projet, ministres et investisseurs. TourismAfrica2006 promet de s’y employer pendant ces cinq jours pour mettre à l’honneur " l’initiative de ce salon, qui a bien été prise par des Africains et des amis de l’Afrique ", expliquent en substance Abderrahmane Bensid et Roland Dana, Directeur de développement de TourismAfrica2006 et conseiller en communication pour chefs d’Etat africains (dont l’ex-président de la République de Centrafrique, Ange-Félix Patassé). Si des Africains sont à l’origine de l’initiative, et puisque la population du continent noir est concernée en premier lieu, pourquoi ne pas avoir choisi l’Afrique comme terre d’accueil pour cette première manifestation du genre ? Le choix de Genève, siège des organisations internationales et seconde place mondiale pour la tenue d’événements internationaux (lire ci-contre), s’est vite imposé, justifient les responsables du projet. " Africatourism2006 ", qui a aussi reçu le soutien de l’Etat de Genève, présentera des destinations francophones déjà populaires en Europe, et particulièrement en France ou en Suisse : Mali, Burkina Faso, Sénégal... Et puis d’autres, actuellement déconseillées aux voyageurs par notre Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) en raison de troubles civils, de razzias opérées par des milices armées, ou de mines antipersonnel qui jonchent le sol après des décennies de guerres civiles : République démocratique du Congo, Soudan, Angola… Comment les organisateurs ont-il déterminé les Etats africains qui bénéficieront d’un " forum pays " ou de stands, pour mettre en valeur la richesse patrimoniale et culturelle du continent noir ? " Ce sont ceux qui se sont inscrits " à la manifestation ouverte à tous les pays du continent, explique Roland Dana. L’objectif de cet événement : améliorer l’image des pays africains, mettre en relation représentants d’Etat qui ont payé leur séjour et leur stand avec des décideurs et investisseurs internationaux. Le tout sans garantie de contrat au final, précise Roland Dana. Affaires à suivre.


(encadré 1)
Tourisme au Sud, recettes au Nord ?
Poumon économique et souvent principal vecteur de devises pour de nombreux pays, le secteur du tourisme possède lui aussi une organisation faîtière de professionnels, active depuis plusieurs décennies. Cette structure s’est muée très récemment, pour devenir en 2003 une institution spécialisée des Nations Unies. L’OMT est aujourd’hui composée de quelque 140 Etats membre, plus environ 350 affiliés représentant le secteur privé, des établissements d'enseignement, des associations de tourisme et des autorités locales. Annonçant une perspective de développement durable et confiant dans le rôle du tourisme pour la paix dans le monde, l’OMT a un projet et des programmes de financement prévus pour le continent noir : " Dans le cadre plus vaste de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement, une des grandes tâches de l’OMT est d’aider les pays les moins avancés, notamment en Afrique, à faire de leur produit touristique un instrument de développement, au moyen de programmes de formation, d’éducation et de services d’appui comme son programme ST-EP (Sustainable Tourism – Eliminating Poverty) ", informe l’institution onusienne. " L’Afrique possède tout ce que les visiteurs veulent connaître : la beauté des paysages, des cultures fascinantes, une faune et une flore sauvages incroyables, des voyages d’aventure, etc. ", rappelait dernièrement le Secrétaire général de l’OMT, Francesco Frangialli. La quarante-quatrième réunion de la Commission de l’OMT pour l’Afrique qui s’est déroulée en mai 2006 dans la capitale malienne de Bamako soulignait la teneur des discussions en cours : développement de l’éco-tourisme et de parc transfrontaliers ; développement des partenariats public/privé ; libéralisation du trafic aérien ; facilitation d’obtention de visas pour les touristes ; enfin, meilleure gestion de l’image de l’Afrique et des crises sanitaires ou locales pouvant affecter l’offre touristique. Développer le tourisme de masse pour lutter contre la pauvreté ? Depuis plus de vingt ans, des spécialistes de la coopération dénoncent au contraire les ravages sociaux causés par ce secteur dans les pays du Sud. La répartition des recettes est aussi sujette à caution : le camembert du prix payé par un touriste pour son voyage en Afrique montre que plus de 90% de la somme (constituée essentiellement par l’achat du billet d’avion, l’hébergement et les activités de loisir sur place) revient au Nord. Tant que les liaisons aériennes seront monopolisées par des compagnies occidentales, tant que l’hôtellerie ou la restauration seront entre les mains de grands groupes comme Accor, cette réalité ne changera guère. Développement durable ? En juillet 2006, l’OMT a conclu avec Microsoft " un accord de partenariat de longue durée en matière de cybertourisme dans le but d’assurer l’expansion des techniques de l’information et de la communication dans le secteur touristique et ce, tout spécialement en Afrique ". Un choix contestable.

Gilles Labarthe / DATAS

(encadré 2)
Salons publics, salons privés
30 millions de visiteurs en 20 ans : c’est le chiffre d’affluence que revendique Geneva Palexpo, centre d’expositions internationales abritant 102'000 mètres carrés. A proximité directe de l’aéroport, l’espace propose plus d’une vingtaine de manifestations par an. Certaines sont publiques. D’autres non. A côté du très populaire Salon international de l’automobile, ou du Salon international du livre et de la presse, plusieurs " business meetings " privés nous rappellent l’importance de Genève, ville des organisations internationales, de la finance et des industries de luxe. A tel point que la ville du bout du lac, véritable carrefour planétaire pour hommes d’affaires, peut aujourd’hui revendiquer la " deuxième place mondiale " pour la tenue d’événements internationaux, explique Roland Dana, Business development manager de TourismAfrica2006. Parmi le programme professionnel et privé de Palexpo, figure successivement ces dernières années : l’International Aid & Trade, attirant des bailleurs de fonds des Nations unies autour de stands consacrés à la technologie de pointe en matière d’intervention humanitaire, de secours d’urgence et de répression armée ; le Salon international de la haute horlogerie ; l’European business aviation convention & exhibition, présenté par les organisateurs comme la seule exposition en Europe consacrée à l’aviation d’affaires ; une autre manifestation, l’EIBTM, invite les professionnels autour du thème " Congrès, voyages de stimulation et réunions d’affaires ". Dans un autre secteur lucratif, l’AEGPL accueillait une exposition internationale des gaz de pétrole liquéfiés. Palexpo a aussi abrité ITU Telecom world, Forum mondial des télécommunications et " plus importante foire mondiale des technologies d'avenir ". La petite République a enfin décroché en 2003 une rencontre historique, le Sommet mondial de la société d’information (World summit on the information society, WSIS). A Genève, infrastructures luxueuses et réseau de communication hi-tech sont des atouts indéniables, souligne Roland Dana. Enfin, il y a le climat de discrétion et de sécurité, garanti irréprochable à Genève pour les fonctionnaires, diplomates et hommes d’affaires internationaux. D’une dimension très modeste, et sur un " sujet " réputé difficile, comme le fait remarquer Roland Dana, TourismAfrica 2006 sera la première manifestation professionnelle du genre entièrement dédiée à l’Afrique, et à son potentiel touristique. Un événement original, dont on sera curieux de connaître les résultats. Rappelons qu’un autre " salon privé" similaire (EMA-Invest, aussi consacré aux " pays émergeants " et axé entre autres sur des projets de développement touristique) avait occupé Palexpo quelques années. Avant de finalement cesser sa programmation, organisateurs comme exposants regrettant le manque d’investisseurs.

Gilles Labarthe / DATAS