MONDE
Un système de déminage (très) suisse pour le Liban
(Berne, 26/08/2006) Fabriquer des bombes à sous-munition en collaboration avec Israël, puis vendre 1’300 systèmes de déminage suisses SM EOD dans le cadre de l’actuel programme civil de l'ONU au Liban : l’entreprise d’Etat RUAG fait coup double, avec l’appui du Département fédéral de la défense. Bilan de l’opération

Gilles Labarthe / DATAS

Fabriquer des bombes à sous-munition, les faire exporter vers des pays en conflit, puis vendre les systèmes de déminage à la fin des hostilités : pas de problèmes ni de contradictions pour l’entreprise d’Etat RUAG, propriété de la Confédération. Moins d’un mois après l’accord de cesser-le feu au Proche-Orient, c’est à RUAG que nos autorités viennent de passer commande de 1’300 systèmes de déminage suisses SM EOD. But de l’opération : "soutenir l'ONU dans ses opérations d'élimination des ratés et de déminage au Sud-Liban ", comme l’informait hier un communiqué de l’administration fédérale. Délai de mise en place : dès la semaine prochaine. " Un agent du Centre de compétences de déminage et d'élimination des munitions non explosées de l'armée (rattaché à la sécurité militaire) se rendra au Sud-Liban pendant environ une semaine pour former les utilisateurs au maniement de ce système extrêmement simple d'utilisation. Cet engagement interviendra en civil et non armé ", informe le Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS). Un avantage : le système SM EOD, qui a été commercialisé en 1999 par l'entreprise RUAG, permettrait de désamorcer ou de détruire les ratés et les mines sans avoir à les manipuler. A l’unité, ces appareils sont certes plus chers que les systèmes classiques de déminage à base de TNT fabriqués dans d’autres pays, nous explique à Berne Markus Schefer, chef du déminage humanitaire : environ 46 francs pièce. " Mais le SM EOD, c’est de la très bonne qualité. Il limite les effets de fragmentation dans le voisinage. Au Sud-Liban, il y a des écoles, des villages… on ne prend pas de risques pour la collectivité, c’est cela qui compte ". Ce qui compte aujourd’hui au Proche-Orient, pour des organisations de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch (HRW), c’est que des sociétés d’armement occidentales cessent d’exporter leur production ou de collaborer avec Israël. RUAG fait justement partie de la liste des entreprises indexées par l’ONG américaine dans un de ses derniers rapports sur la fabrication de bombes à sous-munitions. " A cause de leur large spectre de dispersion, les bombes à sous-munitions ne devraient jamais être utilisées dans des zones peuplées ", accuse Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch. De tels engins sont toujours présents aux alentours de Nabatiyeh, Tabnine et Beit Yahoun, ainsi que à proximité de la route de 3km qui relie Tabnine et Beit Yahoun, selon des responsables démineurs des Nations Unies. Contactée à Bruxelles, une porte-parole de HRW avoue avoir du mal à comprendre le choix de RUAG par la Confédération pour ses contributions aux actions de déminage de l’ONU. A Genève, la Campagne Suisse contre les mines antipersonnel dénonçait encore en juillet dernier le fait que " l’armée israélienne dispose en outre dans son arsenal de plusieurs millions de sous-munitions DPICM (Double Purpose Improved Conventional Munition), munitions qui ont été développées et produites en collaboration avec l’entreprise d’armement helvétique RUAG et qui sont également stockées en grandes quantités par l’armée suisse ". Les bombes à sous-munitions ont été utilisées massivement lors des récents conflits au Kosovo, en Afghanistan et en Irak, causant la mort de milliers de civils. Dans tous ces pays, plus une dizaine d’autres, le DDPS soutient des programmes de déminage avec les systèmes SM EOD de RUAG. Plus de 25'000 unités SM EOD auraient été achetées en six ans, selon Markus Schefer. Ce qui fait… environ 1,2 million de francs de rentrées pour l’entreprise suisse d’armement. Plus quelques bénéfices en termes d’image ?