ENQUÊTES
Trafigura, un cas de pollution internationale
(Genève, 20/09/2006) La justice hollandaise a ouvert une enquête sur la société Trafigura Beheer BV, dont le siège administratif est à Amsterdam, pour déterminer sa part de responsabilité dans la pollution qui a déjà intoxiqué plus d’un millier de personnes en Côte d’Ivoire. Deux dirigeants français de la société de trading ont été inculpés hier à Abidjan. L’attention des enquêteurs et de l’ONU se resserre maintenant sur la Suisse et notamment Lucerne, pôle décisionnel de Trafigura

Gilles Labarthe / DATAS

C’est une catastrophe écologique et sanitaire dont la Côte d’Ivoire se serait bien passée. Déjà victime de la guerre civile déclenchée en septembre 2002, la population ivoirienne doit faire face aujourd’hui à une pollution mortelle sans précédent. Le déchargement sauvage dans la région portuaire d’Abidjan de 528 mètres cubes de produits toxiques effectuée le 19 août du "Probo Koala", navire affrété par la société de trading suisse Trafigura Beheer BV, est encore venu exacerber les tensions dans la capitale économique, alors que le mandat du très contesté président Laurent Gbago touche à sa fin.

Sur fond de violences et règlements de compte politiques, le bilan humain de la pollution du siècle en Côte d’Ivoire est déjà lourd : plusieurs morts, des milliers de personnes intoxiquées et des centaines de milliers contraintes à quitter les lieux contaminés. L’agence d’information des Nations Unies évoquait lundi sept décès et plus de 44’000 personnes venues en consultation dans les hôpitaux et les cliniques de la région. Le scénario d’hécatombe devrait s’aggraver ces prochains jours.

Experts internationaux et responsables de l’OMS évaluent aujourd’hui les dégâts sur place, tandis que des agents de dépollution de la société française Séché, équipés de combinaisons et de masques protection, ont commencé à pomper la boue noire des déchets déversés dans des décharges publiques d’Abidjan. Les habitants restent bien plus vulnérables aux tonnes d’hydrogène sulfuré, de soude et de mercaptan qui ont été déversés.

D’où venaient à l’origine ces produits mortels ? Pourquoi ont-ils été acheminés vers le port d’Abidjan ? Qui passera à la caisse pour dédommager les familles de victimes ? Qui financera la dépollution des sites et les cours d’eau, qui devrait durer plusieurs semaines ? Trafigura Beheer BV, inscrite à Amsterdam pour des raisons fiscales, mais dont le siège décisionnel est à Lucerne, se retrouve aujourd’hui dans la ligne de mire. Deux dirigeants français de la société de trading, fondée par des anciens de Glencore, viennent d’être interpellés, puis arrêtés et inculpés hier à Abidjan. Claude Dauphin, principal dirigeant de Trafigura, doit être entendu par les autorités ivoiriennes.

Il devra expliquer notamment dans quelles conditions les déchets du Probo Koala, d’abord déchargés à Amsterdam, ont été rechargés et exportés, en contravention avec les lois néerlandaises et les conventions européennes. Le cas de Trafigura, affréteur-pollueur, intéresse aussi la justice hollandaise, qui a ouvert une enquête sur ce leader mondial du courtage de pétrole, au passé sulfureux : en mai 2006, la société avait été condamnée à verser 20 millions de dollars pour violation sur la loi fédérale américaine et l'embargo de l’ONU dans le cadre du programme "pétrole contre nourriture" en Irak.

Les volets européens de cette dernière affaire concernant Trafigura sont précisément toujours en cours d’enquête aux Pays-Bas, mais aussi en Suisse, comme vient de le confirmer le Ministère Public de la Confédération. A Genève, l’ONU a réouvert le dossier Trafigura, pour examiner dans quelle mesure la multinationale peut être sanctionnée pour exportation et déversement frauduleux de produits toxiques.

En Côte d’Ivoire, le Premier ministre Charles Konan Banny invoque la Convention de Bâle, qui stipule que " les pollueurs doivent être les payeurs ". Les responsables à l’origine de ces déversements illicites devront rembourser le coût de ces opérations, a-t-il affirmé. Ratifiée en 1992, la Convention de Bâle a pour objectif de contrôler les mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de protéger les pays pauvres afin qu’ils ne soient pas transformés en poubelles des pays du Nord. Elle précise notamment que le pays à l’origine de déversements illicites de déchets dangereux doit payer les frais afférant à leur élimination. Quel sera ce pays ?