ECONOMIE
Un guide de voyage pour découvrir "Euroland"
Sur le modèle des célèbres guides "Lonely Planet", l'ONG Corporate Europe Observatory a publié son "Lobby Planet": une invitation au voyage à Bruxelles, pour découvrir les activités des cabinets de lobbying implantés dans les quartiers administratifs de l'Union européenne

Gilles Labarthe / DATAS

Le Corporate Europe Observatory (CEO, observatoire européen des corporations et des multinationales) est un groupe de recherche basé à Amsterdam. Son but: dénoncer les atteintes à la démocratie, à la justice sociale et à l'environnement causés par les grandes entreprises, révéler les trafics d'influence sur les milieux politiques et les législations. Réputé pour le sérieux de son travail, le CEO peut aussi vous inviter à des flâneries très instructives. Comme à Bruxelles, par exemple, pour la découverte touristique du quartier administratif de l'Union européenne. Il suffit de se laisser entraîner par leur nouveau guide de voyage, "Lobby Planet". Réalisé sur le modèle des célèbres "Lonely Planet", il comporte une trentaine de pages. Cartes, photographies, emplacements des cabinets de lobbying sont soigneusement annotés, complétés par une description des coutumes locales.

7 lobbyistes par député
Une fois arrivé à la gare de Bruxelles-Schuman, le visiteur constatera d'emblée les transformations importantes opérées sur cette partie Est de la ville, devenue capitale de l'Union européenne. Autrefois zone de résidence aisée, elle s'est aujourd'hui vidée de ses anciens habitants. Le secteur administratif de l'UE occupe pour l'essentiel sur 4 kilomètres carrés, morne assemblage d'immeubles vitrés. "La seule raison de visiter ce quartier, c'est qu'il est devenu un des plus importants centres du pouvoir au monde avec Washington DC. Pour apercevoir des eurocrates et des lobbyistes en action, le meilleur moment de visite reste les heures de travail au bureau, l'idéal étant la pause de midi. La nuit, sans même parler des week-ends, les rues sont largement abandonnées", préviennent les auteurs, qui recommandent aussi d'emporter un parapluie pour cette excursion - ici, il pleut en moyenne 170 jours par an.

Plus de 85'000 personnes travaillent dans cette zone minérale, couverte d'un millier de bureaux. Sur ce chiffre, il faut compter "plus de 15'000 lobbyistes professionnels défendant les intérêts de grosses entreprises", précise le guide. A lui seul, le Parlement européen recense 4'913 lobbyistes accrédités - soit environ 7 lobbyistes par député. On y croise aussi quelques dizaines de représentants soutenant les intérêts de firmes suisses comme Nestlé, Holcim, Novartis ou l'UBS. C'est connu: les parlementaires sont souvent dépassés par la complexité des dossiers à traiter. Les lobbyistes leur viennent alors en aide pour y voir clair et prendre la bonne décision, comme l'a expliqué sans honte le libéral-démocrate anglais Chris Davies.

Conseils en stratégie
"Il y a des groupes de lobbies pour presque chaque secteur possible de l'industrie, de l'Association européenne des producteurs de fontaines à eau (EBWA) à l'énorme immeuble abritant les 140 salariés de la puissante CEFIC, fédération de l'industrie chimique. Les cabinets de "relations publiques" comme APCO, Hill & Knowlton, GPC et Burston-Marsteller (très critiqué pour ses méthodes agressives de lobbying en faveur des OGM, ndlr) emploient plus de mille personnes à Bruxelles, soit pour démarcher directement des officiels de l'UE, soit pour fournir des rapports et des conseils en stratégie", poursuit le guide, qui donne aussi quelques exemples de méthodes chères aux lobbyistes internationaux: méthode "à la Kofi Annan" (le compromis acceptable), méthode du "dentiste" (faire sauter d'abord le pire élément de législation européenne, s'occuper des autres ensuite), etc.

Très en vue, les immeubles du Rond-Point Schuman abritent plusieurs bureaux de l'UE, et un nombre croissant de sièges de multinationales: Boeing, Airbus, concurrents sur le marché de l'aviation, ou les géants américains de la chimie DuPont et Dow Chemicals, tous deux impliqués dans une campagne contre les régulations européennes concernant les produits toxiques (REACH, Registration, Evaluation and Autorisation of Chemicals, qui obligerait les entreprises à démontrer le caractère inoffensif de leurs produits). Parmi les nouveaux arrivés, British Petroleum et Philip Morris.

Think-tank de droite
Plus loin, "la rue du Luxembourg, 23, accueille une douzaine de firmes et d'organisations, dont la European Seeds Association, un des plus importants lobbies pro-OGM intervenant à Bruxelles". Ses membres? Entre autres, les leaders mondiaux Monsanto et Syngenta. Signalons encore la bien nommée rue de la Loi, avec au numéro 200 l'adresse du quartier général de la Commission européenne. Les "think-tank" de droite, financés par des industriels, y pullulent. L'European Policy Centre (EPC) ou le Conseil de Lisbonne s'y trouvent aux premières loges pour organiser des forums à caractère ultra-libéral. Au troisième étage du Résidence Palace, TechCentralStation, qui est alimenté par des fonds et donations de Microsoft, Exxon et McDonalds, prépare ses assauts contre les législations sociales et environnementales.

Enfin, ne ratez pas l'avenue de Corthenbergh, fréquentée par l'allemand BASF (chimie) ou le français Thales (armement, électronique).Au numéro 118, la Chambre de commerce des USA côtoie le leader de l'alimentation Unilever et des cabinets d'avocats sans scrupules. Au 168, le Forum sur les services européens, large regroupement d'industriels, défend la libéralisation complète des services publics devant l'UE et l'OMC. Coïncidence: à un jet de pierre, au numéro 107, siégeait l'ancien commissaire au Marché intérieur Frits Bolkestein. Il est le principal inspirateur d'une directive européenne du même nom, aujourd'hui très contestée…

(1) Lobby Planet: Brussels, the EU quarter. Guide à télécharger depuis l'adresse Internet: http://www.corporateeurope.org/docs/lobbycracy/lobbyplanet.pdf
Le CEO organise aussi, une fois par mois, des visites commentées.