SUISSE
L’Etat malgache réclame la restitution des millions détournés
(04/05/2007) Quelque 2,8 millions de francs détournés des caisses de l’Etat malgache ont été planqués dans une banque suisse par l’ex-premier ministre de Ratsiraka, lors des troubles de 2002. La Suisse a choisi de les restituer au bras droit de l’ancien dictateur. Un choix consternant pour l’actuel ministre des Finances de Madagascar, qui réclame la restitution

Gilles Labarthe / DATAS

Printemps 2002, Madagascar. A l’issue d’élections présidentielles contestés, Marc Ravalomanana finit par s’imposer, chassant le despote Didier Ratsiraka. Sentant le vent tourner, des alliés du clan Ratsiraka prennent la fuite avec fortune et bagages, direction les Seychelles et la France. Chargé d’écouler une partie du butin cumulé après 22 ans de régime autoritaire, l'ancien premier ministre Tantely Andrianarivo dépose dans une banque suisse (située à Bâle, selon un de nos informateurs) la rondelette somme de 4,4 milliards d'Ariary – soit 2,8 millions de francs suisses. Il est arrêté à Madagascar en mai 2002, accusé de détournement de fonds par le nouveau gouvernement, puis condamné à douze ans de travaux forcés.

Organisations et associations malgaches de Suisse réagissent aussitôt. " Dans ces cas-là, il faut faire très très vite pour revoir la couleur de l’argent ", nous explique à Berne un ancien opposant à la dictature, confirmant que dès le printemps 2002, elles ont alerté les autorités helvétiques, pour que le nouveau gouvernement en place puisse récupérer l’argent par la voie officielle. Il faut attendre plus d’une année - fin 2003 - pour qu’une enquête soit enfin ouverte par le Ministère public de la Confédération (MPC) pour blanchiment d'argent.

Outre la lenteur de la procédure, c’est le verdict qui consterne aujourd’hui la diaspora malgache autant que le gouvernement d’Antananarivo : les autorités fédérales permettront finalement la restitution des fonds à … Tantely Andrianarivo, bras droit de l’ancien dictateur. Un choix qui " risque de créer un incident diplomatique entre la Suisse et Madagascar ", écrivait hier L’Express, un des quotidiens les plus lus de la Grande Ile. Le ministre des Finances et du budget Andriamparany Radavidson a déjà annoncé son intention de ne pas lâcher prise.

Les millions envolés proviennent des caisses de l'Etat. Ils devraient être restitués au peuple malgache, affirme Andriamparany Radavidson, qui s’est déclaré " profondément surpris et choqué par cette décision. Aucune réponse claire n'a été obtenue des autorités suisses à notre demande d'explication. Le devoir de transparence ne devrait pas s'appliquer uniquement pour les petits pays ". Se sont également déclarés " déçus et choqués ", Marcel Ranjeva Razanakombana, ministre malgache des Affaires étrangères, et Lala Henriette, ministre de la justice.

Contactés à Berne, ni l’Office fédéral de la justice, ni le Ministère public de la Confédération (MPC) n’ont voulu nous informer sur ce cas, sinon pour nous dire que " cette affaire a été classée le 14 février 2007. En règle générale, le Ministère public de la Confédération ne fournit plus de détails sur les affaires réglées. Le classement constitue une clôture formelle de la procédure, ce qui interdit toute autre déclaration", selon les termes de Madame Balmer, porte-parole du MPC.

Affaire réglée ? Cette version ne coïncide pas avec celle, rassurante, servie à l’autre bout de la planète par Benoît Girardin, chargé d'affaires de l'ambassade de Suisse à Madagascar : il parle plutôt d’affaire " suspendue ", " sans toutefois acquitter M. Andrianarivo ". " Le chargé d’affaires est surtout chargé d’arrondir les angles ", ironise un ressortissant malgache, qui suit cette histoire depuis le printemps 2002 et promet une réaction rapide du gouvernement d’Antananarivo.