MÉDIAS
Accès à l'information: c'est aussi votre affaire
Le Conseil de presse du Québec (CPQ) est régulièrement sollicité depuis sa création en 1973, par des journalistes comme par le public, pour rappeler aux autorités que l'accès aux informations est un droit. Il lui arrive même de blâmer tel ou tel ministère. Rien de tel en Suisse, ou le même genre de démarche serait pourtant possible depuis 1977

Gilles Labarthe / DATAS

Le grand public n’a généralement qu’une vague idée de l’existence des Conseils de presse, et de leur mission. Cela est aussi vrai de beaucoup de journalistes. Instances de régulation, de médiation et de veille éthique concernant les questions de déontologie, les Conseils de presse peuvent aussi être sollicités par les lecteurs pour rappeler aux autorités que l'accès aux informations est un droit.

Au Québec, on ne s'en prive pas. Depuis sa création en 1973, l'histoire du Conseil de presse québécois (CPQ, voir note 1) est émaillé d'anecdotes et de prises de positions qui montrent à quel point l'organisme tente de remplir au mieux sa mission: « veiller à la protection de la liberté de la presse et au droit du public à une information de qualité ».

Le CPQ assure cette mission avec beaucoup d’indépendance. Dès son lancement, il a déjà le gouvernement dans son collimateur : il reçoit en effet une plainte de l’Agence de presse libre du Québec mettant directement en cause les autorités gouvernementales et policières suite à la découverte de cinq dispositifs d'écoute électronique dans les bureaux de la rédaction. Le CPQ a traité le cas en 1974 : le ministre de la Justice a reçu un blâme en bonne et due forme (2).

Encore vingt ans plus tard, le Conseil de presse du Québec n'hésite pas à blâmer aussi l'Assemblée nationale pour "atteinte à la liberté de la presse" et à examiner des cas d' "entrave à l'exercice du métier de journaliste" pour un refus d'accréditation à la tribune parlementaire.

Particularité à souligner: les plaintes déposées au CPQ émanent autant de journalistes, que de lecteurs. Il faut dire que le site Internet du CPQ est d’une clarté et d’une facilité d’accès exemplaires. Il a en effet bénéficié d’un lifting (il a été « revampé », comme le disent joliment les responsables québécois) en juin 2007.

« Vous avez constaté une atteinte à la liberté de presse ou au droit du public à l’information? Déposez une plainte en ligne, directement sur notre site ». Non seulement le site présente toutes les étapes à suivre pour porter plainte, mais il facilite aussi les enregistrements en proposant un simple formulaire à remplir et à envoyer par e-mail.

Rien de tel en Suisse, pays qui s'est pourtant doté d'un organisme similaire en 1977. Encore aujourd'hui, il faut se farcir tout le règlement pour saisir la marche à suivre. Et si dans son règlement, le Conseil suisse de la presse (CSP) précise bien qu'il "défend la liberté de presse et d’expression", la question de l'accès aux informations n'est évoquée nulle part de manière explicite (3).

Qu'en est-il au juste ? "A ma connaissance, le Conseil suisse de la presse jusqu' à ce jour n' a été jamais saisi sur le sujet de l'accès à l'information auprès des autorités fédérales", nous répond à Interlaken Martin Künzi, secrétaire du CSP. "Mais il existe plusieurs prises de positions sur des sujets plus ou moins semblables: dans sa prise de position n° 13/1999, le Conseil critiquait une mesure de boycottage par le Procureur de la Confédération envers un journaliste du magazine Cash : elle violait le droit de libre accès à toutes les sources d'information stipulé par l'éthique professionnelle".

Un cas similaire impliquant une banque était déjà évoqué trois ans plus tôt: dans sa prise de position n° 2/1996, le CSP avait conclu: "Décréter un boycottage de l'information envers un journaliste mal-aimé viole, du point de vue de l'éthique professionnelle, son droit de libre accès à toutes les sources d'information".

Martin Künzi rappelle encore les prises de positions n° 2/1994 et 1 /1995, où le Conseil avait stipulé au sujet de la publication d'informations confidentielles: "La tâche des Médias - qui est de rendre public - présuppose que leurs enquêtes ne sont pas limitées et qu'ils rendent compte sur tout ce qu'il estiment intéresser le public. Lorsque l'Etat décide de ce qui peut être publié, il viole la liberté de presse ... ".

Drôle de bilan : en trente ans, aucun journaliste suisse n'aurait déposé de plainte auprès du CSP concernant un problème d'accès aux informations gouvernementales. Aucun blâme n'aurait jamais été prononcé contre un département fédéral pratiquant la rétention d'information à outrance - comme le Département fédéral des finances, par exemple. Et aucun lecteur n'aurait jamais porté plainte auprès du CSP en ce sens. Par contre, les autorités fédérales ont a plusieurs reprises saisi le CSP pour se plaindre de la diffusions d’informations politiquement embarrassantes dans la presse (voir encadré).

Pour le reporter et journaliste libre Michel Bührer, qui fait depuis peu partie de la composition du CSP, cette question d'accès à l'information représente bien "un thème fondamental". Mais selon lui, savoir dans la pratique "comment un journaliste peut se plaindre de la rétention d'information" reste encore peu clair, aujourd'hui en Suisse.

Le CSP pourrait y répondre plus clairement, en direction des professionnels des médias comme des lecteurs. "Le Conseil de la presse doit à l'avenir mettre plus avant sa fonction de conseil en tant que «boussole de la branche», par opposition à sa fonction de juge": c'est aussi l'une des recommandations des auteurs d'une enquête qualitative menée auprès de 50 journalistes, rendue publique le 15 avril dernier.

Notes:
(1) Site : www.conseildepresse.qc.ca
(2) Plainte numéro D1973-11-008, répertoriée sur les archives du CPQ consultables en ligne à l’adresse susmentionnée
(3) http://www.presserat.ch/Documents/Reglement_f_01062007.pdf


(encadré)
Quand les autorités saisissent le CSP
Ancien président du Conseil suisse de la presse, spécialiste de l’éthique et des médias, Daniel Cornu vient de publier un dernier ouvrage dans ce domaine (4). Il nous rappelle quelques exemples qui montrent que les autorités ont a plusieurs reprises saisi le CSP ces quinze dernières années pour se plaindre d’infromations sensibles qui avaient été publiées dans la presse écrite. « J'ai le souvenir de cas concernant la publication par des médias d'informations considérées par le gouvernement (ou l'administration fédérale) comme confidentielles. Les cas les plus intéressants concernaient une enquête sur un trafic d'armes en faveur du FIS algérien (publiée dans le SonntagsZeitung du 4 décembre 1994) et la fameuse affaire Jagmetti (du nom d’un ancien ambassadeur suisse aux Etats-Unis, auteur d’un rapport confidentiel sur les fonds en déshérence publié en 1997 dans le même titre, ndlr) ». Dans ce ce dernier cas, le Conseil fédéral avait alors saisi le CSP pour se plainde de la publication d’informations confidentielles. Le CSP avait finalement donné raison au journaliste.
Dans l’ensemble de son activité, « le Conseil de la presse a donc traité des plaintes concernant la publication (ou diffusion) d'informations dans les médias et non directement la rétention d'informations par les administrations. Dans ce domaine, il existe des lois (loi fédérale sur la transparence dans l'administration - Ltrans, lois cantonales dans les cantons de Berne, Genève, Vaud, Neuchâtel, etc.), qui connaissent leurs propres procédures de recours », explique Daniel Cornu.

(4) Daniel Cornu, Médias mode d’emploi. Le journaliste face à son public, Genève, éditions Labor et Fides, 2008.