REPORTAGE
L’Allondon : un retour aux sources de l’orpaillage
Qui n’a jamais rêvé, au moins un instant, de se mettre dans la peau d’un chercheur d’or ? C’est possible, et à Genève, l’espace d’une journée de découvertes. Mais attention, pas de faux espoirs. L’Allondon n’a que de minuscules paillettes à vous offrir. Qu’importe : rien ne vaut un grand bol d’air dans la nature

Gilles Labarthe / DATAS

« Equipé d'une batée et après un facile apprentissage, vous fouillerez les alluvions de l'Allondon à la recherche de paillettes d'or. Avec un peu de chance, vous verrez peut-être apparaître au fond de votre batée de minuscules pépites d'or ! ». L’invitation est lancée depuis Corsier (Genève), et sur Internet ». L’auteur : Thierry Basset, géologue et spécialiste des volcans. La saison : mai-juin et septembre 2008, seule période autorisée par le Département cantonal du territoire, afin de ne pas trop perturber la faune aquatique.

Chercheur d’or à L’Allondon… les nostalgiques du Far West peuvent toujours caresser leurs rêves. « Ne comptez pas trop vous enrichir pendant cette journée », prévient tout de suite cet amoureux de la nature et des excursions. La région de Malval n’a rien à voir avec la Californie à la grande époque d’August Sutter et de la ruée vers l’or. Ni avec le Klondike des Canadiens. C’est uniquement pour le plaisir de faire connaître au grand public le monde des minéraux et sensibiliser à la grande fragilité de l’écosystème, que Thierry Basset vous retrouvera au fin fond de la « campagne » genevoise.

Ces initiations à l’orpaillage sont aussi idéales pour les activités périscolaires. Ce jour-là, nous nous retrouvons au bord de la rivière en compagnie d’une douzaine d’enfants, inscrits aux activités de l’association culturelle Ecole & Quartier à Versoix. La destination finale est tenue secrète : comme pour les champignons, on ne donne pas ses bons endroits.

Dès leur sortie du bus scolaire, les questions fusent. « L’or, ça vaut combien ? ». « Tout le monde a pris ses bottes ? ». Commence la distribution de matériel : d’authentiques batées en plastique marquées « Klondike special gold pan », testées et recommandées par la Modern goldminers association, USA.

Avant de passer à l’action, le géologue rappelle des principes de base : « On ne trouvera pas de pépites aujourd’hui, mais des paillettes. Si vous ne trouvez pas de paillettes à la première batée, à la deuxième, à la troisième, il faudra persévérer. L’orpaillage, c’est du travail. Il faut aussi croire en sa chance. Si vous travaillez bien, vous allez tous en trouver ». « Moi j’ai jamais de chance, j’y crois pas. Mais si c’est une question de travail, j’en trouverai », conclut un élève.

Dernières recommandations du chef de file : « On est dans une réserve naturelle, là, ça veut dire que la nature est protégée. Quand nous aurons fini, il nous faudra quitter cet endroit dans le même état que nous l’avons trouvé en arrivant. On rebouchera tous les trous avant de partir. On ne doit jamais laisser de traces derrière nous, pour respecter la nature ».

Après dix minutes de marche, nous arrivons sur une plage de gros cailloux et de sable. Comment expliquer la présence d’or à cet endroit ? « Il y avait un bijoutier qui travaillait ici, il y a eu un tsunami et ça a tout dispersé », hasarde un premier élève. « Ou alors, c’était un banquier, il s’est fait dynamiter », suggère un autre. Le géologue évoque rapidement les filons minéralisés dans les montages ; la formation de gisements primaires ; l’érosion et le transport de paillettes d’or dans les rivières ; enfin, leur dépôt dans ce qu’on appelle les gisements secondaires, ou « placers ».

Vient ensuite l’heure de la première démonstration : on choisit un endroit sur la plage, on creuse un trou avec une pelle, on remplit la batée de ce mélange de terre, sable et cailloux. Les pieds dans l’eau, il faut maintenant « laver » le contenu dans l’eau de la rivière. Puis, avec la batée, on fait des mouvements circulaires pour évacuer les éléments les plus légers, et concentrer la magnétite (petits minéraux noirs) et l’or, exceptionnellement dense, au fond de la bassine en plastique. « C’est comme dans Lucky Luke ! », s’exclame un enfant.

Très attentifs, les apprentis orpailleurs se mettent au travail. Tous s’activent. Première batée : laver, éliminer les plus gros cailloux, chasser la terre, relaver, etc. Autour de nous, les oiseaux gazouillent, bercés par l’écoulement de la rivière.

Le temps passe. Les petits dos sont courbés au-dessus de l’eau. Finalement, certains trouvent une ou deux minuscules paillettes. Il faut vraiment l’œil d’un connaisseur pour les identifier, isolées, collées au fond de la bassine, souvent en bordure des sables noirs.

Après deux heures de travail non-stop, ma plus belle prise : une paillette plus minuscule qu’une tête d’épingle. J’ai le dos cassé, les jambes qui flagellent, les genoux qui fatiguent, les yeux épuisés à force de concentration. Autour de moi, aucun soupir. Sauf cette exclamation : « j’en ai marre de faire la vaisselle ! ».

Une partie des enfants, prise au jeu, montre une belle persévérance. D’autres explorent les alentours. Chacun y va de sa découverte. « Eh, venez voir ! un scarabée ! ». Un petit groupe s’amuse à lancer des cailloux en visant l’autre rive. Trois élèves ont retourné les batées, et les essayent comme frisbee. Elles volent plutôt bien.

Trois heures plus tard, on dresse le bilan. Chacun a trouvé au moins deux paillettes dans le cours de l’après-midi. « Mais tout ça ne représente que des microgrammes, conclut Thierry ». On refait le calcul : pour obtenir un seul gramme d’or, un orpailleur devrait consacrer ici 50 jours de travail intense, à raison de 20 batées par jour. Les batées devraient contenir 10 paillettes, à chaque prise. On aurait alors l’équivalent de trente dollars…impossible d’en faire une activité rentable.

Mais nous n’étions pas venu pour cela. « C’est vrai que vous allez écrire un article sur cette journée ? m’apostrophe une petite fille aux cheveux blonds. Vous direz que c’était génialissime. Je m’appelle Solène ».

(encadré 1)
Orpailleurs français : la grande désillusion
La passion pour l’orpaillage a été en grande partie relancée au milieu des années 1970, avec la publication d’un livre de Jean-Claude Le Faucheur : Chercheur d'or en France. Un ouvrage qui est vite devenu une référence en la matière. Il faut dire que le destin de Jean-Claude Le Faucheur est peu banal : mettant au point ses propres techniques pour améliorer la « pêche aurifère » dans les rivières de l’Hexagone, il a pu en faire une activité rentable et consacrer plusieurs années de sa vie au grand air, les pieds dans l’eau.

C’était son rêve. Son expérience, originale, a fait des envieux. Le personnage, atypique, a suscité plusieurs vocations. Toutes auraient échoué dans leur tentative de vivre avec des paillettes d’or pour seul revenu.

Avec une ironie bien trempée et un sacré fond d’amertume, le romancier et auteur de polars Hervé Prudon raconte cette cruelle désillusion dans une sorte de « journal d’un paumé », publié vingt ans plus tard : La femme du chercheur d'or. Jean-Claude Le Faucheur, il l’avait rencontré : « La première fois, il vendait aux touristes des bijoux, des bikinis et de la pacotille sur un plateau du Gard écrasé de chaleur ». Cet homme qui vivait de combines et de petites bricoles deviendra son beau-père.

« En quittant son boulot, sa femme et ses enfants, au début des années 70, avec l’idée saugrenue d’aller chercher de l’or dans les rivières, Jean-Claude n’avait rien d’un idéaliste velléitaire qui voulait mouiller les pattes d’éléphant de ses blue-jeans parisiens. Il y avait de l’entrepreneur en lui, de l’agitateur d’idées (…). Il avait eu le premier l’idée d’exploiter les sablières en tendant sur les rampes de lavage des langues de moquettes qui retenaient l’or, de plus forte densité que tout autre minerai. Des ingénieurs l’ont suivi, des industriels y ont cru. C’était un rêve où il était aussi question d’amour, d’amitié, de liberté, d’alcool et de jeu ».

Jean-Claude a vécu un temps de « la cueillette de l’or ». Un temps seulement, avant de sombrer définitivement, « le corps épuisé par l’alcool et le tabac ».
Que reste-t-il de ces aventuriers post-soixante-huitards, agités par la fièvre de l'or ? Dans les années 1980, seuls trois chercheurs d’or en France auraient encore été dignes de ce nom. La quête familiale et aurifère d’Hervé Prudon l’a mené dans les Pyrennées, les Cévennes, en Ardèche... Le constat est sans appel : « Il n’y a plus de chercheurs d’or en France. Ils ne sont plus dans le rêve, dans l’absurde ».

Peut-on encore qualifier d’ « orpailleurs » ceux qui ont investi dans du matériel mécanique, des dragues et des concentrateurs, capables de traiter plusieurs tonnes de minerai par heure ?

La veuve de Jean-Claude, Janine, continue de chercher de l’or dans le Gard. « Pour Janine le vrai chercheur d’or est celui qui se balade dans les rivières à la recherche de « placers », d’endroits aurifères inexplorés. Elle cite Marchand et Sprywa, mais elle ne sait pas s’ils sont encore en vie. Le deuxième avait une vie chaotique et des problèmes avec l’alcool ».

De son côté, Janine vivote. Elle propose des stages d’orpaillage aux touristes (« venez trouver de l’or dans le Gard, de mai à septembre » ). Elle vend des pendentifs en verre soufflé où nagent quelques paillettes... et affronte la concurrence d’autres orpailleurs solitaires, qui sont venus détourner ses idées. « Ce n’est plus l’or qui est à vendre, c’est l’orpaillage », écrit Hervé Prudon, qui injurie copieusement, au fil des pages, certains vantards et profiteurs sans scrupules.

Gilles Labarthe / DATAS

(encadré 2)
Une pensée pour les poissons
L’orpaillage est soumis à une réglementation et à des autorisations délivrées par les départements locaux concernés. Comme activité de loisir, « l'orpaillage est permis en mai-juin et septembre », informe à Genève la biologiste Christina Meissner, chargée de communication pour le Domaine nature et Domaine de l'eau (Département du territoire). Signalons une Association Suisse des Chercheurs d'Or (SGV), fondée en 1989, qui « soutient l'orpaillage, un loisir proche de la nature » et propose des informations, adresses et liens utiles aux novices.

Thierry Basset attire notre attention sur le fait que l’orpaillage présente des risques pour l’écosystème. Notamment, du fait que cette activité rejette des sédiments dans les cours d’eau, perturbant la faune aquatique. Depuis peu, il est interdit dans toutes les rivières du canton de Neuchâtel. Les truites de l’Areuse peuvent désormais dormir tranquilles.

En France, l’activité est organisée au travers d’un réseau de sept associations : la Fédération Française d'Orpaillage (FFOR ). Elle compte environ 200 membres - dont certains apparaissent clairement en nostalgiques du Far-West. La FFOR est « dépositaire des titres de Champion et de Championne de France des Chercheurs d’Or ». Prochaine date de compétition : le « trophée ORBIS 2008 ». L’épreuve se tiendra les 31 mai et le 1er juin à Osselle (Doubs).

Gilles Labarthe / DATAS