FIRMES
Marché de l’or : un raffineur suisse verdit son image
(Lausanne, 14/06/2008) L’affineur tessinois Valcambi, ancienne filiale de Crédit Suisse pour la fourniture de lingots bancaires, vient de lancer la première filière d’or socialement et écologiquement « responsable » issu de l’extraction industrielle. L’initiative revendique la transparence, mais peine encore à l’assumer

Gilles Labarthe / DATAS

Le produit trônait la semaine dernière dans la vitrine du stand de Valcambi, au salon international EPHJ (Environnement professionnel horlogerie joaillerie) à Lausanne. Sur fond de tissu satiné, un lingot d’un kilo, estampillé « V. Green Gold ». A ses côtés, des grains d’or, aussi contenus dans des petites bouteilles de 5 kilos . « C’est tout nouveau, ça vient de sortir », se réjouit Martin B., responsable de projets et de développement commercial de la firme tessinoise - qui tient à cacher son nom complet, tout ce qui concerne le monde de l'or faisant l'objet de sévères précautions.

« Il y a tout un processus à l’interne de la société de raffinage qui isole cet or du reste de l’or qui est traité à l’usine au Tessin, il ne doit pas y avoir de contamination. Même les outils que nous utilisons sont différents. Nous devons assurer à nos clients que cet or est 100% green », justifie le représentant de Valcambi.

Cette entreprise représente l’un des quatre leaders suisses - et mondiaux - de l’affinage de l’or. Elle serait ainsi la première firme privée au monde à proposer, à l’heure actuelle, un « or vert » issu de l’extraction industrielle, tracé à chaque étape, garanti documenté et suivi depuis la mine jusque dans les locaux de l’usine.

L’initiative ressemble à une petite révolution dans le milieu très opaque du marché de l’or, estimé à plus de 65 milliards de dollars par an : jusqu’ici, seules deux minuscules filières artisanales d’or « propre » travaillant avec des orpailleurs colombiens (Oro Verde) et argentins (Eco Andina) fournissent le précieux métal à une vingtaine d’enseignes de bijouterie de luxe européenne - dont Transparence SA à Genève. Capacité totale : une vingtaine de kilos. Presque rien, en regard des quelque 2500 tonnes extraites chaque année industriellement avec des procédés polluants, sans aucune traçabilité officielle. Surtout une fois fondu : les différents arrivages sont mélangés.

Martin B. rappelle les dommages causés à la réputation du secteur minier et du luxe par le film grand public Les diamants du sang (avec Leonardo DiCaprio en vedette). « Cela a accéléré le processus. Nous faisons partie du CRJP (Council for Responsible Jewellery Practices, inauguré en mai 2006 à Londres et qui réunit les principaux acteurs du milieu, ndlr). C’est la première initiative concrète. C'est maintenant que ça démarre ». Cette tendance actuelle des industries extractives aurifères à s’engager davantage en faveur de l’environnement a été récemment confirmée à Genève par l’analyste canadien John Kaiser.

L’initiative de Valcambi intervient aussi après de virulentes campagnes d’ONG comme No Dirty Gold dénonçant l’industrie extractive comme l’une des plus dévastatrices qui soient pour l’environnement. Sur le papier, « V. Green Gold » entend jouer la carte de la responsabilité, et de la transparence : à la source, le nouveau produit est certifié « conforme aux standards sociaux et environnementaux les plus exigeants ». L’origine de l’or vert serait « entièrement documentée ». Mais la société Valcambi ne pourra rien nous dire sur les procédés exacts de traitement du minerai pour obtenir ce « green gold ». Ni sur les quantités produites. Ni sur les quantités vendues : personne n’aurait encore rien acheté.

« Nous sommes en négociation avec certains gros clients. On a été très discret jusqu’à maintenant, on s’est d’abord concentré sur le processus. Le « green gold », on en reçoit tous les jours. Mais on en a produit seulement comme test à l’interne. L’or vient de deux mines au Nevada qui ont un processus de contrôle très très poussés au niveau social et environnemental », résume l'homme de Valcambi, nous demandant de taire leur localisation exacte. On pourra tout au plus révéler le nom de la société chargée de contrôler le respect des standards édictés : Alex Stewart Assayers.

Les deux mines en question font en réalité partie d’un vaste ensemble de concessions couvrant une dizaine de kilomètres carrés au Nevada, figurant parmi les plus importants complexes de mines à ciel ouvert des Etats-Unis. Elles sont opérées par Newmont mining, géant de l’extraction aurifère, et société mère de Valcambi depuis son rachat il y a une dizaine d’années au Crédit Suisse.

Newmont mining, accusé par des communautés locales de pollution au cyanure sur quatre continents, n’a fourni aucune information permettant de déterminer en quoi cet « or vert » bénéficiait d’un traitement différent ou séparé des procédés toxiques habituels. Les défenseurs de l’environnement comme Earth Works ou Great Basin Mine Watch dénoncent depuis des années les ravages dus à l’activité d’extraction industrielle au Nevada, recourant au traitement du minerai au cyanure : il inclut l’utilisation, le transport ou les émanations massives de produits hautement toxiques tels que mercure, arsenic, acide nitrique ou acide sulfurique. En attendant d'en savoir plus, les seules préoccupations écologiques déclarées par Newmont mining sont celles affichées sur son site Internet sous la rubrique "environnement" (1).

Note:
(1) www.beyondthemine.com/2007.