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ENQUÊTES
Marc Roger: Mémoires inédits d'un agent de joueurs
(Genève, 15/07/2008) Qui a écrit : « Si on veut Zidane, c'est comme quand on construit une autoroute en Afrique. Il faut verser des commissions » ? L’agent de joueurs et ex-président du Servette FC, Marc Roger, dans une autobiographie rédigée l’an dernier avant son arrestation par la guardia civil espagnole le 23 février 2007. Ses « Mémoires » n’ont jamais été publiés
Gilles Labarthe / DATAS
Il a participé aux transferts des plus grandes stars du football : Ronaldo, Zidane, Anelka, Figo, Vieira, Henry, Makélélé, Wiltord, Ronaldinho… Il a ses entrées dans les plus grands clubs du Vieux Continent : Juventus de Turin, Real Madrid, Arsenal, Manchester United, Chelsea, Paris, Marseille… Marc Roger, agent de joueurs et ex-président du Servette FC, est aujourd’hui en détention préventive à la prison de Champ-Dollon. Pour comprendre comment fonctionne l’univers méconnu des agents de joueurs, autant leur laisser la parole. Désirant régler ses comptes avec le milieu, Marc Roger avait entamé ses « Mémoires », peu avant son arrestation par la guardia civil espagnole le 23 février 2007.
Le manuscrit a circulé de main à main en France, dans un petit cercle de connaisseurs. Il n’a encore jamais été publié : trop prétentieux, Marc Roger avait cherché « à tripler ses avances sur droits d’auteur », raconte une source informée. L’éditeur s’est découragé, et l’a laissé sur la touche. Seuls quelques extraits à sensation ont été rendus publics dans un magazine sportif, Le Miroir du football, aussitôt repris dans le quotidien à grand tirage Le Parisien.
L’agence DATAS a finalement obtenu le « document ». Dans ses « Mémoires », Marc Roger décrit par le menu les réseaux de copinage, milieux financiers et habitudes du « footbusiness ». Certaines de ces réalités seront sans doute exposées lors de son procès, prévu après le vacances d’été : du 1er au 5 septembre prochain, devant la Cour correctionnelle genevoise (lire encadré).
Cette « autobiographie », écrite avec la plume de Michel Biet, journaliste qui a déjà abordé dans ses articles les problèmes de corruption au sein de l’Olympique de Marseille (1) et de dopage dans le football français, le présente surtout comme la victime d’un système mafieux bien rôdé. Son titre : Ni salaud, ni escroc. Ma vie d’agent de joueurs dans le football. Le chapitre 26 du livre devait s’intituler « Sauveur du Servette de Genève (Suisse). La venue du Roi Pelé », et rappeler les efforts entrepris pour redresser la situation, les « grands moyens » déployés par Marc Roger. Le chapitre suivant, relater la chute : « Le Servette en faillite. La justice et la prison ».
Marc Roger aurait-il été dépassé par les tristes réalités du footbusiness, qui pourrit jour après jour le « bel esprit » du sport ? Il appartient aux juges genevois d’apprécier sa part de responsabilité dans les dérives qui ont été fatales au club du bout du lac. Restons-en à sa carrière d’agent de joueurs : c’est aussi le thème de l’ascension, puis de la chute, qui revient dans ces pages.
Pour accéder au pinacle, traiter dans la cour des grands les transferts de joueurs entre clubs italiens, espagnols, français ou anglais, Marc Roger n’a pas hésité à mouiller son maillot : « 15 années pour tout comprendre de ce milieu sans foi, ni loi. Tout y est permis pour la vente ou l’achat d’un joueur. Les arrangements, les dessous de table, les rétro-commissions, les menaces, les parties de poker-menteur, les arnaques… », lit-on en introduction. Celui qui se présente comme ayant été « l’un des plus influents agents de joueurs en Europe » propose de tout révéler. « Qu’importe les conséquences ».
D’entrée, il tire à boulets rouges contre les principaux responsables de la gabegie actuelle qui flétrit le ballon rond : « les étoiles adulées du grand public ne sont pas exemptes de tous reproches. Les footballeurs sont âpres au gain. Par leur « gourmandise », ils favorisent et incitent, souvent, les dérives actuelles. A l’instar des dirigeants, des agents, des intermédiaires véreux ou des entraîneurs, ils sont prêts à tout, pour toujours plus d’argent ». Les sommes en jeu sont assez fabuleuses : sur le mercato international, un joueur peut se négocier à plus de 30 millions d’euros. Il faut avoir les reins solides, financièrement parlant, pour entrer dans la danse. Beaucoup ont l’art de faire monter les enchères.
1995. Il est question du transfert de Patrick Vieira - dont Marc Roger est alors l’agent - depuis Cannes en direction du puissant Milan AC. L’affaire réunit du beau monde : « il y a du lourd, entre les agents et les dirigeants Milanais ». Par exemple, Adriano Galliani, bras droit de Silvio Berlusconi. Le Cavaliere avait en effet racheté le club en 1986. Il le présidait encore en mai 2008. Les négociations se déroulent entre autres au luxueux hôtel George V, à Paris. Au moment des faits, le joueur convoité n’a que 19 ans, mais il pèse déjà 30 millions de francs français. Il semble pris au piège des Italiens. Dans son récit, Marc Roger le sort des griffes des prédateurs.
Pour les contrats de stars comme Thierry Henry, ou bien d’autres, les rendez-vous de Marc Roger déroulent souvent à Monaco. Entre autres, sur le yacht privé du sulfureux milliardaire russe Abramovitch, qui a allongé plus de 200 millions de dollars il y a 5 ans pour se payer le club londonien de Chelsea. Le paradis fiscal est le théâtre de nombreuses transactions, d’autant que « tout le gratin du foot du Vieux continent se trouve en Principauté pour le tirage au sort de la Ligue des Champions ».
Les environs de Saint-Tropez sont aussi très fréquentés, de même que la Suisse. Beaucoup de déplacements en perspective : il faut régulièrement monter dans des avions privés pour aller persuader les acheteurs. Il faut respecter les règles du jeu : dans le football, la commission moyenne d’un agent tourne autour de 7% dans la majorité des cas, 10 % étant le maximum légalement autorisé. Dans les faits, le plafond est vite dépassé. Un autre problème est que la majorité des agents perçoivent aussi des commissions de clubs lors de la négociation des transferts - ce qui actuellement interdit.
Les sommes en jeu, colossales, permettent encore toutes sortes de retro-commissions complexes et difficiles à tracer. Les cas de fraude ou d’évasion fiscale sont légion. Beaucoup de transactions se règlent en liquide ou par chèque virés sur des comptes dans des paradis fiscaux. En été 2001, il est question de faire passer Zidane de la Juve au Real Madrid, alors qu’il « coûte 75 millions d’euros ». Dans cet épisode, Marc Roger explique pourquoi il a fallu « arroser » Luciano Moggi. L’ancien directeur de la Juventus Turin se serait montré intraitable en affaires. Il a depuis été impliqué en première ligne 2006 dans le procès ouvert en 2006 concernant le vaste scandale des matches truqués de Série A.
Pour ce transfert de Zidane, l’opération recourait aussi à un intermédiaire : un porteur de mallette. Dans la malette, « 6,1 millions d’euros en petites coupures ». Le transfert concernant un club italien, le rendez-vous était fixé à Lugano avec les dirigeants du Real. « Pourquoi Lugano ? C’est de notoriété publique, les Italiens placent leur argent dans cette commune helvète séparée de leur pays par quelques kilomètres ».
Notes:
(1) Lire: Jean-Jacques Eydelie, Michel Biet, "Je ne joue plus ! Un footballeur brise l'omerta", éditions de l'Archipel, 2006.
(encadré 1)
Un procès très attendu en septembre
L'agent de joueurs français Marc Roger, soupçonné d'avoir précipité la faillite du club genevois, est inculpé de « banqueroute frauduleuse, escroquerie, gestion fautive et faux dans les titres ». Le procureur Dario Zanni est actuellement chargé du dossier, informe le Ministère public. Le procès, ouvert au public, aura lieu dans la grand salle du Palais du justice. « On s’attend à beaucoup de monde », explique un habitué des lieux.
Les pratiques qui seront passées en revue à cette occasion sont hélas courantes dans le monde du football, comme l’ont souligné Jérome Jessel et Patrick Mendelewitsch, dans une enquête récente parue sous le titre La face cachée du Foot Business.
Dans cet univers opaque où valsent les millions, certains se demandent combien de commissions Marc Roger a empoché au passage. Son passé d’agent de joueurs l’a-t-il vraiment enrichi, ou a-t-il tout perdu au fil des ans? La Chambre d'accusation genevoise admettait encore il y a quelques jours n'avoir « aucune information fiable sur la situation financière et les ressources de l'inculpé ».
Pendant l’enquête judiciaire, l’ex-patron du FC Servette n’a jamais précisé les contours exacts de sa situation personnelle. L’an dernier, il avait finalement déclaré au juge d'instruction « vivre chez sa grand-mère », disposer d'un revenu de 450 euros par mois et avoir des dettes de près d'un million d'euros. Une déclaration qui laisse très dubitatifs ceux qui ont suivi son dossier. Il aurait au contraire « très bien gagné sa vie », estime une source.
Son compte bancaire au Luxembourg, que l’on disait crédité d’un million d’euros ? Des fonds y ont bien transité par entre 2001 et 2002. Mais la justice genevoise n’a trouvé le mois dernier qu’un solde proche de zéro. « Quatre chèques avaient été encaissés, pour un total de plus d’un million. Mais l’argent été dispersé. L’information qui nous a été transmise du Luxembourg était incomplète, nous sommes arrivés trop tard », regrette à Genève le procureur Dario Zanni.
Gilles Labarthe / DATAS
(encadré)
Achats de joueurs, services compris
Quand un grand club veut se payer une star du football, les millions d’euros à mettre sur la table doivent inclure des commissions. Claude Makélélé avait ainsi été acheté par le Real Madrid 19,5 millions, commissions incluses pour cinq ans, relate Marc Roger dans ses « Mémoires ». En 2003, il est question de son transfert à Chelsea. Le club espagnol regorge de champions : il s’est déjà offert David Beckham. « Star parmi les stars, l’international anglais bénéficie d’un salaire équivalant à celui de Figo, Raul, Zidane et Ronaldo, soit 6 millions d’euros par saison (…) Cinq membres de la constellation madrilène. Les cinq plus gros salaires. Ces cinq générateurs de ressources financières faramineuses en tous genres pour le club ». En comparaison, « les émoluments de Claude n’atteignent que 1,2 millions d’euros ».
A cette époque, Marc Roger est son agent. De l’autre côté de la Manche, il doit traiter avec un certain Zahavi. « Je ne le connais pas personnellement. Il est l’homme clé des transferts à Chelsea. Ce Britannique est à l’origine de la venue du businessman russe (Abramovitch, ndlr) dans l’univers du foot anglais. Ils sont proches, des origines juives en commun (…) Zahavi a donc carte blanche pour le recrutement. Il est présent sur toutes les arrivées ». Il faut aussi convaincre Vicenzo Morabito, représentant de Claudio Raniéri, l’entraîneur de Chelsea. « Bien entendu, si Makélélé porte le maillot de Chelsea dans quelques jours, une partie de ma commission ira vers Zahavi et Morabito. Injouable autrement ».
Le problème est qu’à un moment, le Real ne veut plus se séparer de Makélélé. L’agent de joueurs français reçoit des propositions de commissions… des deux côtés. Dans un premier temps, il les aurait refusées. Nouvelle proposition espagnole : une commission de 1,5 millions d’euros. Nouveau refus. Les négociations se compliquent de part et d’autre.
A ce niveau, l’univers est un redoutable panier de crabes, d’autant que les dirigeants des deux clubs rivalisent pour exercer leur influence sur le G14. Structure qui pèse de tout son poids sur l’organisation et les finances de l’UEFA, mais aussi de la FIFA…
Le G14 a été crée en 1998, mais officialisé en 2000. Il réunit les clubs les plus puissants du football européen . Dans cette galaxie, les coups portés sont rudes : « C’est l’égoïsme pur qui règne dans le football. Depuis que les Abramovitch, Berlusconi et autres Moratti (respectivement propriétaires des clubs de Chelsea, Milan AC et l’Inter de Milan, ndlr) sont au pouvoir, le football est dans une situation vraiment pourrie », lâchait en 2006 Karl-Heinz Rummenigge, vice-président du Bayern Munich. Après seulement deux mois de présidence à la tête de Chelsea, Abramovicth aurait acheté pour plus de 155 millions d’euros de joueurs. Son agent recruteur préféré, Pini Zahavi, s’est entre-temps fait épingler par le rapport Quest, dirigée par l’ancien commissaire de la Metropolitan Police Lord Stevens, enquêtant sur les malversations concernant 362 transferts de joueurs.
Pour le transfert de Claude Makélélé, Marc Roger admet avoir « obtenu la plus grosse commission de ma carrière : 2,3 millions d’euros ». Un regret : « 600 000 euros ne me seront jamais payés ». C’est d’ailleurs un des seuls regrets exprimés dans ces « Mémoires ». Pourtant, le récit se voulait aussi examen de conscience. «Il n’est guère convaincant sur ce point, estime à Paris un spécialiste : « il manque les remords ». Un point positif : « il faut reconnaître que Marc Roger a beaucoup contribué à la carrière de Makélélé ». Lequel lui a aussi rendu service : « C’est chez lui que Marc Roger s’est réfugié un temps en France, après avoir quitté précipitamment Genève suite à sa première incarcération ».
Gilles Labarthe / DATAS
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