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Sale temps pour les réfugiés de l'après Sangatte
Deux ans après la fermeture du centre d'accueil de Sangatte, la situation des réfugiés à Calais n'est toujours pas résolue. Plusieurs centaines de personnes survivent dans le dénuement complet, sans hébergement malgré la vague de froid et des températures en dessous de zéro. Le collectif de soutien d'urgence C'SUR dénonce une politique inhumaine de non assistance délibérée de la part des autorités françaises, et la criminalisation des habitants qui viennent en secours.
Photographies Olivier Chambrial

Gilles Labarthe / DATAS

Mars 2005. Un vent glacial souffle ce matin-là sur la petite ville de Calais. En face de nous, les ferries, prêts pour le départ. La Manche, Eurotunnel. Une courte traversée, puis l'Angleterre. "L'Angleterre à deux pas", vantent les panneaux publicitaires. Combien de fois ces réfugiés, arrivés en France au prix d'un douloureux voyage depuis le Soudan, la Somalie, l'Irak, l'Iran ou le Kurdistan ont-ils contemplé cette zone portuaire de Calais, rêvant d'embarquer à bord de navires ou de semi-remorques pour atteindre leur destination?

A Calais, ils sont encore une centaine survivre dans le dénuement complet. Exceptionnellement, une poignée d'entre eux dormiront aujourd'hui chez des citoyens, outrés par le peu de réaction de la mairie de Jacky Hénin, député communiste européen. Tous les autres devront se contenter des hangars désaffectés ou des maigres forêts avoisinantes - la "jungle", comme on l'appelle. Des cartons, des couvertures, aux mieux quelques bâches pour confectionner un toit de fortune. On passe la nuit sous la pluie. Les températures avoisinent zéro degrés.

"On ne parvient jamais à se reposer. La police nous tourne autour, vérifie nos papiers plusieurs fois par jour, nous déloge sans arrêt", se plaint un requérant d'asile africain, bonnet enfoncé jusqu'aux oreilles, attendant sa ration alimentaire de midi devant "la cabine". Situé le long des rails desservant la zone portuaire, le baraquement gracieusement "mis à disposition" par la municipalité a grise mine. Des bénévoles y distribuent de quoi manger, quelques habits contre le froid. Des groupes épars se sont formés aux alentours. Une majorité d'hommes, d'adolescents. De très jeunes femmes, quelques familles, des enfants. Ils se déferont le soir, les réfugiés traversant la ville comme des ombres, têtes baissées sous des capuches, corps perdus dans l'hiver.

Quai de la gendarmerie. Deux estafettes de CRS s'arrêtent devant un "squat" au bord du canal. Une dizaine de réfugiés parviennent à déguerpir en escaladant le mur d'enceinte donnant sur l'autre côté de la rue. Un homme à la démarche claudicante se fait mener par deux policiers vers un hangar, poussé en avant, matraque dans le dos. "Les cas de violences policières sont plutôt rares, nuance un témoin. Mais pas les intimidations". La violence morale suffit parfois. Pas toujours. Alors, pour décourager encore davantage les candidats à l'asile, les abris sont systématiquement démolis, éventrés. Pour contraindre les réfugiés à décamper de leur abri, les forces de l'ordre n'hésitent pas à recourir aux gaz lacrymogènes, s'insurge Michaël, un membre du Collectif de soutien d'urgence aux réfugiés C'sur - un regroupement d'associations locales, qui offre avec le Secours catholique soins, vêtements et nourriture aux migrants

En faisant fermer et détruire le centre d'accueil de la Croix-Rouge à Sangatte le 5 novembre 2002, l'ancien ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy déclarait avec fierté aux médias français que le problème des réfugiés à Calais était "résolu". Deux ans plus tard, leur situation s'est aggravée, accusent des travailleurs sociaux et quelques habitants de la ville du Nord, cherchant les moyens d'aider les plus démunis. On compte dans le Calaisis plus de 100 nouveaux immigrés chaque semaine, avec une recrudescence de passeurs et de mafieux qui rançonnent leurs "clients".

"Les conditions de séjour sont terribles, la nervosité des réfugiés, palpable", avertit un habitué de lieux. "Le flux des migrants et les trafics qui l'accompagnent sont devenus beaucoup plus difficiles à surveiller", s'inquiète un autre observateur. Les règlements de compte peuvent dégénérer en bagarres sanglantes. Pour l'heure, les autorités locales, promptes à effectuer des contrôles d'identité et à dresser des bilans, préfèrent éluder le problème en parlant de "tensions entre groupes ethniques".

(1) Site Internet: http://csur62.free.fr