SOCIÉTÉ
Quand des salariés sauvent leur entreprise
FRANCE - Face à la hausse des redressements judiciaires d’entreprises fragilisées par la crise, des exemples de reprise de PME par leurs salariés valident le modèle des sociétés coopératives

Novethic, retransmis par / DATAS

Il n’y a pas qu’en Argentine que les salariés récupèrent leur entreprise, comme l’avait filmé Mélanie Kein dans son documentaire « The Take ». En France aussi. Et le système existait avant la vague des « usines récupérées » argentines au lendemain de la crise politico-économique de décembre 2001.

Mais la solution de transformer son entreprise en société coopérative de production (Scop), statut datant de 1947, reste insuffisamment connue par les salariés eux-mêmes, les Chambres de commerce et d’industrie ou encore les administrateurs judiciaires.

Le sujet est pourtant brûlant à l’heure où les défaillances d’entreprises (redressement ou en liquidation judiciaire) croissent de manière inquiétante. Selon les dernières statistiques de l’Insee, le chiffre a bondi de 17,2 % au troisième trimestre 2008.

La Cepam, menuiserie de l’agglomération niortaise, vit à l’heure de la coopération depuis le 1er janvier 2009. Cette filiale d’un groupe espagnol en difficulté a connu une lente descente aux enfers depuis 2007. Exercices déficitaires, redressement judiciaire, abandon par la maison mère... Tout semblait conduire cette entreprise de près de 100 salariés vers la fermeture totale. C’était sans compter sur la volonté de l’encadrement prêt à tout pour défendre l’entreprise, ses emplois et son savoir-faire.

« Nous avons démontré devant le tribunal de commerce que nous pouvions gérer l’entreprise car dans les faits, depuis un an, c’était les cadres salariés qui prenaient les décisions pour maintenir l’activité », explique Christabelle Chollet, ancienne directrice financière et actuelle gérante de la Cepam.

Le plan de reprise a sauvé 80 emplois sur les 94. 62 salariés ont apporté l’équivalent de deux mois de salaire pour constituer le capital et devenir associé de l’entreprise. La Scop est en effet une société dont les salariés sont les propriétaires. A ce titre, ils disposent chacun d’une voix en assemblée générale afin de participer aux décisions stratégiques de l’entreprise et ce quelle que soit leur part dans le capital.

« En impliquant plus les salariés on peut sauver des entreprises », constate Christabelle Chollet. Les pouvoirs publics sont amenés à appuyer ce type d’initiatives qui valorisent l’emploi local et évitent des délocalisations. La Région Poitou-Charentes a doublé le capital apporté par les salariés de la Cepam et la Communauté d’agglomération de Niort a racheté les locaux.

« Une Scop n’est pas une entreprise faite pour attirer des financiers qui veulent gagner plus d’argent avec leur argent.Ce sont des hommes et des femmes qui veulent gagner leur vie grâce à leur travail », décrit Patrick Lenancker, président de la confédération générale des Scop (CGSCOP).

Ce mouvement des coopératives de production a fait de la reprise/transmission en Scop l’un de ses axes stratégiques de développement depuis quatre ans. On comptabilise une trentaine de reprises par an. Les entreprises en difficulté sont concernées, mais aussi et surtout les entreprises saines car 700 000 chefs d’entreprises ont dépassé la cinquantaine en 1999 et vont prendre leur retraite prochainement.

Or le marché de la transmission souffre d’un manque flagrant d’anticipation qui condamne nombre de ces PME à disparaître. « Les investisseurs ne regardent pas une PME de mécano soudure qui réalise entre 2 et 6 % de résultat net même si elle fait vivre 30 familles », souligne Patrick Lenancker.

Alors que l’on parle de désindustrialisation rampante, les forges LCAB-Jayot dans les Ardennes affichent une bonne santé depuis la reprise par les salariés, il y a un an. Repris et liquidé deux fois en deux ans, le plan de reprise a été monté avec 24 salariés (au lieu de 150), ils sont 31 aujourd’hui.

« C’est le peuple qui devient patron », lance dans un clin d’œil Jean-Pierre Mayette, gérant de la Scop, qui a commencé chez Jayot en 1970 comme outilleur avant de gravir les échelons. L’entreprise a su miser sur la diversification de la clientèle pour se désengager de l’industrie automobile qui alimentait les quelques entreprises métallurgiques encore vivantes.

Au prix de choix de gestion réalistes et souvent difficiles, la Cepam et les forges Jayot rappellent que ce sont les salariés qui font vivre l’entreprise.Mais toutes les entreprises ne peuvent devenir des Scop. Un tel renversement de valeur demande « un leader et une équipe prête à se retrousser les manches pour un projet collectif », explique Patrick Lenancker.

Cela demande aussi d’oublier les ratios de retour sur investissements qui guident très souvent les investisseurs.98 % des Scop ont un accord de participation. Elles ont par ailleurs l’obligation de constituer des réserves impartageables afin de renforcer la capitalisation de l’entreprise qui est souvent faible à la création. Cela signifie que la distribution de dividende est minoritaire au profit de la pérennisation de l’entreprise.

L’année 2009 s’annonce difficile pour l’économie française et renforce la prudence de ces jeunes Scop en reconstruction. Jean-Pierre Mayette constate « une petite baisse d’activité de 10 %, mais notre entreprise est saine. Il ne faut pas s’endormir c’est tout ». Du côté de la Cepam, 2009 rime avec équilibre. « Même si l’économie va contre nous, on ne lâchera rien, lance Christabelle Chollet, qui surnomme son équipe "les pitbulls du bois ». Qui a dit que l’autogestion était une utopie des années 70?

Philippe Chibani-Jacquot / Novethic
Source:
http://www.novethic.fr/novethic/entreprise/ressources_humaines/conditions_de_travail/quand_salaries_sauvent_leur_entreprise.jsp