ECONOMIE
Importations suisses du Pérou : de l’or à 99%
(De retour du Pérou, 05/06/2009) Le volume des exportations péruviennes en destination de la Suisse serait au plus bas depuis quatre ans, avec 25 petits millions de dollars en 2008. Un montant qui s’élèverait en réalité à près de 3,4 milliards si l’on inclut une seule rubrique : l’or, absent des statistiques de l’Administration fédérale des douanes

Gilles Labarthe / DATAS

Les chiffres actualisés et publiés par le Secrétariat d’Etat à l’économie à Berne (SECO) ne livrent qu’une très pâle image de l’intensité réelle des relations entre la Suisse et le Pérou. Sous le chapitre « évolution des échanges », on lit que la Suisse n’importait que pour 36 millions de dollars de marchandises du pays latino-américain en 2007. La situation semble pire encore pour 2008 : seulement 25 petits millions de dollars pour des produits agricoles (47,71 %), quelques machines, un peu de bijouterie, du bois (34%), des textiles (16,78%) et du poisson (1,8%). Un seul produit vient relativiser cette vision de sinistrose, que l’ont pourrait trop vite attribuer aux effets de la crise : « l’or représente la presque totalité des exportations péruviennes vers notre pays », ajoute une publication du SECO - qui précise qu’il en va de même depuis trois ans, mais exclut toujours le précieux métal doré de ses statistiques fédérales.

L’or représenterait en réalité plus de 99% des importations en Suisse, pour un montant s’élevant à 3,385 milliards de dollars exactement, si l’on en juge par les dernières statistiques des douanes péruviennes de 2008. Ces dernières sont inaccessibles auprès de l’administration fédérale à Berne, mais disponibles à Lima auprès de la Chambre de Commerce Suisse au Pérou. Le total pour 2008 - 3,410 milliards, toutes marchandises incluses - explique mieux comment la Suisse se hisse à la troisième place dans les pays partenaires des exportations péruviennes, devancé seulement par les Etats-Unis (19% des échanges) et la Chine (12%).

Questionné à ce sujet, un responsable du SECO a n’a voulu ni confirmer ni infirmer officiellement ce montant, estimant qu’il y avait des écarts fréquents entre les chiffres des douanes péruviennes et ceux de la Confédération. Autre motif invitant selon lui à la plus grande prudence : une bonne partie des importations passerait par « des entrepôts douaniers », s’agissant d’or « qui entre en Suisse pour raffinage, puis est réexporté ». Tout se passe comme s’il n’y avait pas d’entrée officielle de barres en or sur le territoire suisse. Le montant de 3,410 milliards n’est pas connu non plus à Zurich par Dorit Salis, directrice exécutive de la Chambre de commerce latino-américaine en Suisse. Le fait que la Suisse soit la première destination de l’or péruvien est par contre confirmé sur place par plusieurs observateurs, dont Félix Marin, coordinateur de Terre des Hommes à Lima.

Le Pérou, plus grand producteur mondial d’argent, représente aussi le sixième producteur d’or mondial. Plus de 80% de cette production est issue de l’extraction industrielle dans les régions andines de la haute pampa - dont le site de Yanacocha, à quelque 600 kilomètres au Nord de la capitale : l’une des mines les plus rentables de la planète, la plus grande de toute l’Amérique latine, et la seconde en taille dans la monde.

Ouverte en 1992, l’exploitation couvre actuellement 251 kilomètres carrés. Elle a produit une centaine de tonnes d’or par an en moyenne dans la période 2000-2005, contre 57 tonnes en 2008, avec le mercure comme sous-produit (plusieurs dizaine de tonnes).

Si l’exploitation de l’or, notamment à Yanacocha, est souvent considérée comme l’une des « locomotives » de l’économie nationale, le nombre de problèmes environnementaux et sociaux que cette industrie extractive génère est aussi régulièrement dénoncé par des ONG locales et internationales. Une des dernières mobilisations de contestation s’est produite début mai, des manifestants bloquant l’accès routier à la mine pour réclamer une meilleure indemnisation suite au déversement accidentel par l’opérateur minier de 150 kilos de mercure, survenu en 2000.

La compagnie exploitante à plusieurs fois récusé la version des faits présentée par les plaignants, dégageant une partie de sa responsabilité dans les manipulations toxiques du mercure, ultérieures, qui auraient ensuite été le fait de particuliers. C’est ce qu’explique aussi un géologue suisse qui a suivi l'affaire, et pointe du doigt les ravages causés par l’exploitation artisanale de l’or dans la région sud-est du pays, à Madre de Dios.

Propre, l’or péruvien ? Le même phénomène de contamination massive au mercure à Madre de Dios, du fait de l’orpaillage, est dénoncé par le Père Xavier Arbex, présent depuis trois décennies au Pérou. Sachant le volume faramineux des importations d’or péruvien en Suisse, Xavier Arbex estime que nos autorités auraient leur mot à dire sur ce dossier. « Qui paie, commande, comme on dit. Cela donne le pouvoir à la Suisse, à travers ses représentants commerciaux, ses conseillers, son ambassade, de faire pression sur le gouvernement péruvien pour que des mesures soient prises », a-t-il déclaré lors d’une interview pour la Radio Suisse Romande-RSR.