ANALYSE
Sarkozy, proliférateur du nucléaire français
(15/03/2011) Depuis son élection en mai 2007, le président de la République française a fait du nucléaire et de la vente de centrales EPR françaises à l’étranger l’une de ses grandes priorités, s’impliquant personnellement pour faire avancer les contrats, de la Libye à la Chine, en passant par les Emirats

Gilles Labarthe / DATAS

« Areva, c’est vraiment l'obsession de Sarko », témoigne à Paris une source proche des ministères. Depuis mai 2007, l’activisme du président de la République française Nicolas Sarkozy en faveur de la filière nucléaire donne le tournis. Comment l’expliquer ? Leader mondial du nucléaire, le géant français Areva représente l’acteur clef dans la fabrication de centrales de type EPR (European pressurized reactor). Ces EPR génèrent chaque année un carnet de commandes se chiffrant en milliards d’euros. A l'unité, une centrale EPR « pèse » environ 4,5 milliards. Deux EPR vendus, c’est d’avantage que la totalité des 8,16 milliards d’euros de prises de commandes enregistrées en faveur de l’industrie française de l’armement en 2009. A l’international, la vente des EPR est une véritable « machine à faire du cash ». C’est aussi une aubaine pour les consortiums d’entreprises énergétiques et de BTP françaises, dont les patrons et les principaux actionnaires sont souvent des amis du Président.
Moins d’une année après son élection à l’Elysée, l’organisation écologiste Greenpeace établissait un premier bilan des multiples engagements de Sarkozy pour « vendre » des EPR à l’étranger, dénonçant au passage le nouvel accord de coopération nucléaire que devaient signer en avril 2008 le président français et le tunisien Ben Ali, après ceux passés en juillet 2007 avec la Libye du colonel Kadhafi, puis avec l’Algérie et le Maroc. « C’est à chaque fois la même rengaine : sous couvert de lutter contre les changements climatiques et de défendre le droit de tout pays d’accéder au nucléaire civil, la France développe, notamment au Maghreb, un néo-colonialisme nucléaire, s’indigne Frédéric Marillier, en charge de la campagne Énergie à Greenpeace France. Le nucléaire comme un outil de développement est une véritable aberration, aussi bien sur le plan énergétique et que sur le plan industriel ».
Sarkozy avait déjà joué les VRP pour Areva en Afrique du Sud en février 2008, défendant le nucléaire français face à la concurrence du groupe nippo-américain Westinghouse-Toshiba pour arracher un contrat de construction de deux EPR, en proposant encore une dizaine d’autres (soit un chantier de plus de 45 milliards d’euros, pour une capacité de production de 20 000 MW au total) à l’horizon 2025. La Chine, l’Inde et les pays du Golfe figurent aussi sur le tableau de chasse de la Présidence française, avec des succès divers. Malgré un dossier suivi de près par l’Elysée pour soutenir le consortium français Areva, EDF, GDF-Suez, Total, Vinci et Alstom pour la construction et l’exploitation de quatre centrales aux Emirats Arabes Unis, le contrat pharaonique (deux tranches de 20 milliards) leur est passé sous le nez en décembre 2009, au profit du consortium sud-coréen mené par Kepco, associé à Samsung et Hyundai, entre autres.
Est-ce bien le rôle d’un président de la République, que de se faire le héraut de centrales nucléaires « made in France », quitte à promouvoir les EPR dans des régions du monde politiquement instables, ou confrontées à des risques de catastrophes naturelles ? La proximité de l’actuel locataire de l’Elysée avec le lobby du nucléaire suscite aujourd’hui, plus que jamais, la colère des écologistes français, sur fond de nouvelle catastrophe atomique au Japon. « L’Elysée vante la sécurité de l’EPR dans une tentative désespérée de sauver la filière nucléaire française, mais il est insensé et absurde de vanter la sécurité d'un réacteur qui n'a jamais fonctionné et dont les défauts de construction sont légions, martèle le Réseau "Sortir du nucléaire". L'EPR est surtout connu pour ses retards à la livraison, des surcoûts qui se chiffrent en milliards d'euros et l'utilisation prévue d'une quantité record de combustible au plutonium qui en ferait le réacteur le plus dangereux au monde, s'il devait jamais voir le jour ».
Malgré l’implication personnelle du chef de l’Etat, la prolifération des projets de construction d’EPR français depuis 2007 a du plomb dans l’aile. Les spécialistes pointent l’incapacité d’Areva et EDF à juguler les coûts (jusqu’à 8 milliards de dollars pour un EPR, le double voire le triple de ce qui était initialement prévu) et les retards dans ses deux premiers EPR en construction à Olkiluoto Island (Finlande) et à Flamanville (France). Ils s’inquiètent aussi des problèmes du système de pilotage de l’EPR et de fissures constatées dans les cuves (comme au Tricastin). Durant l'hiver 2009-2010, la France comptait quinze centrales nucléaires (sur un total de 59) à l'arrêt pour des raisons de maintenance et autres soucis techniques.