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TERRE
L’avenir de Faléa se jouera-t-il à la Bourse de Toronto ?
(03/05/2011) Les villages traditionnels et ruraux de Faléa, au sud-ouest du Mali, sont confrontés depuis 2007 à une société canadienne d’exploration minière qui mise sur le trading et la hausse des cours de l’uranium pour développer son business. Exposition et conférences à Genève
Gilles Labarthe / DATAS
Situé à l’extrême sud-ouest du Mali, à la frontière de la Guinée et du Sénégal, la commune rurale de Faléa présente une belle savane arborée. Forêts verdoyantes, cours d’eau, flore et faune luxuriantes constituent le cadre de vie de quelques 17 000 habitants des ethnies dialonké, malinké, peul, diakhanké, traditionnellement répartis sur une vingtaine de villages et hameaux enclavés. Leur vie aurait pu se poursuivre là, paisiblement, à 350 kilomètres de Bamako… mais leur avenir est aujourd’hui en suspens. Il dépendra autant des décisions politiques qui doivent être prises par le gouvernement malien, que de la fluctuation des cours de l’uranium : le sous-sol de Faléa en contiendrait 5 000 tonnes, selon les estimations. Assez pour que des investisseurs privés canadiens parient sur une obscure société minière cotée à la Bourse de Toronto, active depuis 2007 dans l’exploration de la zone.
L’histoire des ressources minières de Faléa ne date pas d’hier. L’orpaillage est pratiqué dans la région depuis plusieurs siècles. Des indices d’uranium et de métaux lourds ont été relevés dès la fin des années 1970 par des géologues et prospecteurs français travaillant pour la Compagnie générale des matières nucléaires (COGEMA, devenu AREVA en 2006). Avec la hausse des cours de l’uranium, l’exploitation pourrait s’y avérer très lucrative. C’est le credo affiché par la jeune société Rockgate Capital Corp., basée à Vancouver et qui détient aussi des participations dans les secteurs miniers de l’or et de l’argent au Mali et au Niger.
A Faléa, Rockgate mène les opérations depuis juillet 2007, jouissant d’un permis initial d’exploration couvrant plus de 150 km2 – permis qui s’est étendu à 225 km2 ces derniers mois. En 2008, Rockgate avait déjà effectué aux alentours des villages 149 sondages à différentes profondeurs, et jusqu’à 300 mètres, pour un carottage total dépassant 40 km de long. Champs de paysans, forêts, lieux sacrés… rien n’a été épargné. La surface des points de carottage n’étant pas protégée, la population craint des reflux de substances radioactives. Quelques têtes de bétail ont succombé, vraisemblablement intoxiquées. La société d’exploration a-t-elle seulement pris en compte la localisation des nappes phréatiques souterraines, et les risques de contamination ? La même année, la piste de l’aérodrome était agrandie. Elle passe à quelques dizaines de mètres de certains bâtiments du village, notamment le centre de santé communautaire. Autre problème : la communauté rurale de Faléa, pour laquelle l’accès à la terre est régi par le droit coutumier, peine à faire valoir ses revendications. Elle ne reçoit guère d’informations de la société exploitante sur la situation en cours et les risques environnementaux associés.
Face à ces menaces et nuisances, plusieurs initiatives citoyennes se sont mises en place afin d’aider la commune de Faléa, avec entre autres le soutien de la Ville de Genève (1). Parmi les dernières initiatives, une visite de Faléa par des eurodéputés écologistes, fin mars 2011. Cette délégation conduite par Eva Joly, présidente de la Commission développement du parlement européen, comprenait aussi deux responsables de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD, basé à Valence). A la sortie d’une audience le 29 mars avec Amadou Toumani Touré, le président malien aurait promis aux eurodéputés de stopper les travaux d’exploration à Faléa, le temps d’y voir plus clair.
Une victoire d’étape pour les Verts ? La nouvelle était annoncée dès le lendemain par Eva Joly à l’Agence France Presse, puis relayée par le site financier Bloomberg … mais aussitôt démentie le 31 mars par un conseiller de la présidence à Bamako, ainsi que par Karl Kottmeier, PDG de Rockgate. La partie est donc loin d’être gagnée. Les effets des deux déclarations contradictoires se sont d’ailleurs ressentis jusqu’à Toronto : les actions de la société ont subitement décroché de 21% - aussi en raison de la catastrophe nucléaire au Japon – , plongeant à 1,40 dollars canadiens, avant de remonter les jours suivants, en faisant un des trois titres les plus échangés de la Bourse. David Talbot, analyste financier spécialisé dans le nucléaire, recommande toujours d’acheter le titre Rockgate, pronostiquant « un objectif de 4 dollars l’action ».
D’autres s’interrogent sur la solidité financière réelle de la jeune compagnie d’exploration, une junior assez méconnue, dont les parts seraient détenues à 80% par des sociétés d’investissements canadiennes privées – les « fonds énergie » Sprott, ou ceux de Pinetree Capital Ltd, entre autres, qui misent beaucoup sur le nucléaire. Comme l’écrit le journaliste américain Tom Zoellner, depuis une décennie, « Vancouver est la capitale de la nouvelle ruée vers l’uranium ». Plus de 400 sociétés d’exploration y ont leur siège. « La plupart de ces juniors, cependant, ne verront jamais une once d’uranium » : leur but est avant tout d’attirer les investissements, de gonfler leur dossier puis de vendre chèrement des parts dans les exploitations en projet. Dans ce domaine, la spéculation à outrance et les fausses promesses ont déçu bien des investisseurs. Si, d’une manière ou d’une autre, l’action Rockgate se ramassait définitivement et faisait fuir les spéculateurs, la population de Faléa pourrait dormir tranquille.
(1) Ces initiatives citoyennes seront présentées à la Maison des arts du Grütli (Genève), du 3 au 15 mai prochains, avec l’exposition «Faléa, la menace d'une mine d'uranium» (programme de l’exposition, accompagnée de projections et de débats :
www.ville-geneve.ch/actualites/detail/article/exposition-falea-menace-uranium/). Voir aussi le site : www.falea21.org
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