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ANALYSE
Neuf mois pour rompre avec la « Françafrique »
(13/09/2011) Réseaux affairistes, contrats léonins sur les ressources énergétiques et minières, interventions militaires, appui à des dictateurs africains, … qui arrêtera la politique occulte menée depuis 1958 par la France dans ses anciennes colonies ? A Paris, les principaux leaders de l'opposition redoublent de promesses sur la nécessaire « rupture » à opérer… tout en se cherchant des appuis au sud de la Méditerranée, en vue de l’élection présidentielle de 2012
Gilles Labarthe / DATAS
Il y a mille raisons de ressortir et brandir le dossier de ce qu’on appelle, aujourd’hui encore, la « Françafrique ». L’actualité le démontre avec les dernières révélations d’un intermédiaire occulte de l’Elysée, Robert Bourgi, la sortie du livre du journaliste d’investigation Pierre Péan concernant un autre intermédiaire formé à « l’école Pasqua », Alexandre Djouhri, l’interventionnisme tricolore en Libye ou en Côte d’Ivoire (voir encadré), mais aussi avec les mouvements de contestation populaires qui se sont étendus à d’autres pays d’Afrique francophone à la suite du « printemps arabe », et dont les médias français, comme la plupart des politiciens, ne parlent guère : Burkina Faso, Cameroun, Gabon…
Pour les ONG et associations d’entraide qui cherchent depuis des années à dénoncer les dérives et manquements criminels de la politique africaine de la France, ainsi que le dévoiement de la coopération bilatérale, l’attentisme est de mise à quelques semaines de la primaire socialiste, qui doit désigner début octobre le candidat unique du PS à la présidentielle de 2012.
A Paris, l’association Survie mène depuis plus de quinze ans un travail de sensibilisation sur ce thème crucial. Fabrice Tarrit, coordinateur du Livre blanc pour une politique de la France responsable et transparente, observe que les positions du PS vont « globalement » dans le bon sens. En bref : « l’ambition commune du développement économique, social et démocratique de l’Afrique. Sur ce terrain, le bilan du président de la République (Nicolas Sarkozy, Ndla) est tout sauf convaincant », avance Pouria Amirshahi, secrétaire national du Parti socialiste à la coopération.
Le bureau national du PS a adopté le 31 mai 2011 les « propositions pour une nouvelle politique de développement et de coopération », se fixant notamment quatre objectifs politiques, d’inspiration alter-mondialiste. Clarification des engagements bilatéraux, relèvement de l’aide au développement à 0,7% du PIB, encouragement de la coopération décentralisée, reconnaissance de l’action des ONG et des sociétés civiles, cohérence, transparence parlementaire, disparition des bases militaires françaises permanentes sur le continent, font partie du menu.
Fabrice Tarrit regrette toutefois que ce programme soit freiné en coulisses par certaines personnalités socialistes, « des politiciens de la vieille garde, tendance conservatrice, qui ne disent rien sur le Rwanda » et rêvent encore de « la grandeur de la France ». En effet, derrière le projet lissé des engagements de réforme pour une politique africaine cohérente de la France, s’activent des conseillers qui veulent arrondir les angles, diplomatie oblige (lire ci-dessous).
Le Livre blanc allait aussi beaucoup plus loin, réclamant le contrôle parlementaire de toute la politique africaine de la France, une politique migratoire respectueuse des droits des migrants, la remise en cause des outils de domination monétaire (système du franc CFA), linguistique (clarification du mandat politique de l’Organisation internationale de la Francophonie) et militaire...
Quel politicien français serait prêt à relever ce défi ? « L’échec de la politique franco-africaine est tel, du fait de ses archaïsmes, de ses dérives et de la contestation dont elle fait l’objet, que l’intention de la réformer est aujourd’hui affichée par l’essentiel de la classe politique, explique Fabrice Tarrit. Y compris par le candidat Sarkozy en 2006 au Bénin, avec la conséquence que l’on connaît : la mise en place d’une Françafrique décomplexée, toujours au service du business français mais habillée d’une prétendue réforme ».
Dans les rangs de l’opposition, peu iront jusqu’au bout de la critique du « système ». On voit mal le PS, le Parti de gauche et Jean-Luc Melenchon s’emparer de la question à bras le corps : ils restent « sans doute encore trop dans l’héritage mitterrandien », justifie Tarrit. En somme, « les plus crédibles sont souvent ceux qui ont tenu un discours de remise en cause avant les autres, à l’exemple des députés qui ont enquêté dans les années 90 sur les financements pétroliers (le scandale de « affaire Elf », Ndla) ou qui ont défendu Survie à l’époque du procès intenté par des chefs d’Etat à l’encontre de son président ». Hélas, « ce ne sont pas forcément des personnalités politiques de premier plan ».
Dans la catégorie des dénonciateurs de la Françafrique, il reste surtout le NPA, et des écologistes, « comme Noël Mamère ou plus récemment, Eva Joly ». Cette dernière s’est rendue plusieurs fois en Afrique de l’Ouest cette année : en février au Sénégal, pour assister au Forum social mondial ; mais aussi fin mars pour sensibiliser les autorités maliennes à la catastrophe écologique que représentera un projet d’extraction de l’uranium à Faléa, qui serait appuyé en sous-main par le groupe français Areva... Peu ont le courage de s’attaquer ainsi de front à des intérêts miniers et au lobby nucléaire.
Fin avril, « l’outsider socialiste » Arnaud Montebourg avait choisi de se rendre au Niger, pour saluer son ami Mahamadou Issoufou, nouveau président démocratiquement élu. Le candidat s’est aussi rendu en Tunisie, début juin. Il se démarque avec une proposition cruciale : celle de passer enfin à une VIe République, condition sine qua non d’une véritable réforme en la matière. Depuis 1958 et la doctrine de Chaban-Delmas concernant le « domaine réservé de l'Elysée », la Ve République prévoit que le chef de l’Etat garde la haute main sur les « affaires africaines », les Affaires étrangères et la Défense. De fait, ces grands domaines régaliens échappent à tout débat de fond ou contrôle parlementaire.
(encadré 1)
Mortelles bavures d’un « gendarme de l’Afrique »
On s’en souvient : les ténors du PS ont très vite applaudi l’envoi des forces françaises en Libye et dans une certaine mesure, en Côte d’Ivoire, replaçant ces interventions tricolores « dans le cadre strict » des résolutions onusiennes. Avec le recul, certains candidats de l’opposition doivent aujourd’hui se demander s’ils n’ont pas salué trop vite cette « grandeur retrouvée » de la France sur la scène internationale, « volant au secours des opprimés ». A Abidjan, l'intervention militaire française a depuis été dénoncée comme « un nouvel épisode caricatural de la Françafrique », pas seulement par le député PS François Loncle, membre de la commission des Affaires étrangères, mais aussi par plusieurs ONG humanitaires qui tentent de dénombrer les « victimes collatérales » dans les deux camps : celles qui ont succombé aux exactions perpétrées par les pro-Gbagbo mais aussi celles, nombreuses, qui ont succombé après les rafles exécutées par les soldats et milices pro-Ouattara, pendant et après les bombardements français.
Concernant Tripoli, Le Canard enchaîné vient juste de rappeler comment, encore à la veille du déclenchement des opérations armées contre le régime de Kadhafi, des officiers de la Division du renseignement militaire et des services techniques de la DGSE de l’Hexagone ont supervisé jusqu’à février 2011 la mise au point des équipements d’espionnage électronique vendus au colonel libyen par plusieurs industriels français. Ce matériel a servi à des fins de répression politique. Il a permis aux partisans de Kadhafi de mener, pendant plus de six mois, des purges sanglantes. Ce sont les charniers que les rebelles et civils découvrent jour après jour à Tripoli et dans les environs. Combien d’opposants libyens ont-ils été victimes de cette effroyable « coopération internationale » ?
(encadré 2)
Petites virées africaines
C’est un fait : pour devenir un bon « présidentiable » en France, le détour initiatique par la « case Afrique » reste toujours aussi important, 50 ans après les Indépendances. Il faut déclarer son intérêt pour le grand continent (« l’Afrique, je m’y intéresse et je la respecte », avait promis le candidat Sarkozy quelques mois avant le scrutin), y draguer les électeurs (expatriés et binationaux, de plus en pus nombreux), rassurer les affairistes, mais surtout entretenir des relations étroites et personnelles avec les dirigeants « qui comptent ».
De tous les candidats à l’élection présidentielle de 2007, Sarkozy reste celui qui avait le plus abordé les terres africaines. Depuis des années, il avait préparé son adoubement auprès des chefs d’État les plus influents de l’ancien pré carré colonial, dictateurs compris. Il s’est longtemps appliqué à garantir à la famille Bongo, au Gabon, et au clan Sassou-Nguesso, au Congo-Brazzaville, la défense de leurs intérêts privés, en échange d’un soutien politique. Plusieurs initiés attestent que les rapports de dépendance entre la France et son ancien pré-carré colonial se sont en partie inversés depuis le début des années 1990, notamment en raison de « chantage » sur le pétrole, les ressources énergétiques ou des dossiers politiques compromettants. La complaisance des dirigeants gabonais, congolais, camerounais (Paul Biya), burkinabé (Blaise Compaoré) ou tchadien (Idriss Déby) est devenu une « nouvelle donne » de la vie politique française.
Dans un bureau de l’Assemblée nationale, un député socialiste soupire : « Avec son carnet d'adresses à l’international et ses fonctions au FMI, Dominique Strauss-Kahn était jusque-là le mieux placé pour les relations avec les dirigeants africains… Le problème avec Martine Aubry et Ségolène Royal, c’est que pour elles, l'Afrique se limite trop au Sénégal ».
C’est en effet à Dakar que s'est rendue Martine Aubry en février 2011, au Forum social mondial, accompagné par Pouria Amirshahi et sur recommandation de ses conseillers de campagne. François Hollande semble plus porté sur l'Algérie et la Tunisie, où il s'est encore rendu en visite éclair le 24 mai dernier. Ses déclarations sur la « rupture » sont très modérées : dans une récente interview pour Jeune Afrique, il affirme que les chefs d'État africains traditionnellement soutenus par la France n'ont rien à craindre de lui. « Nous ne cherchons pas à déstabiliser des pays africains et leurs dirigeants. Nous voulons clarifier nos rapports. »
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