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TERRE
Gaz de schiste : opération greenwashing à Bruxelles
(28/02/2012) Les collectifs « non au gaz de schiste » dénoncent les actions de lobbying menées au Parlement européen, avant la remise d’un rapport en avril 2012 qui doit servir de référence pour les pays membres de l’Union en matière d’exploration et d’extraction de gaz et huiles dits « non conventionnels ». Son responsable : l'eurodéputé conservateur polonais Boguslaw Sonik, « inféodé » aux intérêts des groupes énergétiques et miniers
Gilles Labarthe / DATAS
« Gaz de schiste à nos portes ! Si nous ne faisons rien, l'hydrofracturation c'est pour demain ! » C’est un nouveau message d’alerte que vient de lancer en France le collectif « non au gaz de schiste » de Villeneuve-de-Berg. La bourgade ardéchoise fêtait hier le premier anniversaire de la manifestation nationale qui avait vu affluer à ses portes le 26 février 2011 plus de 15 000 manifestants. Un an après, l’opposition aux projets d’extraction menés par des groupes gaziers et pétroliers qui entendent recourir à la technique de « fracturation hydraulique » (fracking, en anglais), reste de mise. Pour la juriste Danièle Favari, il faut même sonner l’état d’alerte maximal : l’avenir se joue à Bruxelles.
C’est en effet aujourd’hui 28 février 2012, que l'eurodéputé conservateur polonais Boguslaw Sonik présente sous l’égide du département politique du Parlement européen, un workshop intitulé : « Extraction des gaz et huiles de schiste : impacts sur l’environnement et la santé humaine ». Il y a lieu de craindre une nouvelle opération de greenwashing menée par le gouvernement polonais, premier pays d’Europe à être entré en phase d’exploration-exploitation en ce domaine, avec de réserves estimées par l’Agence américaine de l’énergie (IEA) à 5 300 milliards mètres cubes de gaz de schiste.
D’abord, parce que le programme du jour mettra surtout en scène des ingénieurs et géologues travaillant au service de l’industrie extractive, des responsables d’associations patronales et des acteurs de l’exploitation de gaz de schiste en Pologne – dont la multinationale canadienne Talisman Energy, confrontée à des mobilisations anti-gaz de schistes sur ses propres terres, au Québec.
Ensuite, parce que Boguslaw Sonik, vice-président de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI), est un fervent défenseur de l’exploitation du gaz de schiste en Europe, sensée selon lui libérer les pays de l’Union de l’influence des Russes et de leur géant énergétique, Gazprom. Il a déjà utilisé le même argument pour jeter le discrédit sur un rapport demandant des régulations contraignantes pour l’extraction, présenté par le gouvernement allemand à l’Union européenne en juillet 2011. Régulations qui, si elle étaient appliquées à la lettre, rendraient le fracking des schistes « non rentable ».
Pour Boguslaw Sonik, ce rapport allemand « ne peut être fiable, puisqu’il a été commandé et réalisé par un seul pays membre ». En guise de contre-attaque, une délégation polonaise du Parti populaire européen (PPE, centre-droit) organisait le 20 septembre 2011 une rencontre au Parlement européen avec un « groupe d’experts » vantant les mérites de l’exploitation des gaz et huiles de schiste. Le 22 octobre, à l’issue d’une conférence internationale sur le même sujet organisée à Cracovie sous les auspices de la puissante Association européenne des industries minières, il signait une « déclaration » visant à introduire la production et consommation de ces ressources dans l’agenda de l’Union européenne.
On le sait : derrière chaque eurodéputé, il y a en moyenne 7 lobbyistes de l’industrie et de la finance qui s’activent à Bruxelles – dont le groupe ExxonMobil n’est pas des moindres. Entre-temps, Boguslaw Sonik a été nommé par la Commission de l’environnement et de la santé publique-ENVI responsable du prochain rapport sur l’impact environnemental de l’extraction du gaz de schiste destiné au Parlement européen. Ce document doit être rendu en avril 2012. Boguslaw Sonik ne cache pas ses intentions : « Ce rapport doit être une réponse à l’analyse préparée par les experts allemands l’an dernier. Bien que non contraignant légalement, il représentera la position officielle des membres du Parlement européen, qui recommanderont des solutions (pour l’extraction, Ndla) appropriées devant la Commission européenne ».
Fustigeant ses collègues allemands qui auraient produit des textes sans quitter leurs bureaux, Boguslaw Sonik entend écrire un rapport « objectif », fruit de ses expériences sur le terrain. Aussi s’est-il rendu sur le site polonais de Horodusk, près de Lesniowice, exploité par la compagnie américaine Chevron. Il n’aurait constaté « aucune nuisance » sur place, et n’en a pensé que du bien. « Ma visite à Horodusk m’en a convaincu : nous devons croire que la clef pour la maximisation des bénéfices de l’exploitation du gaz de schiste, c’est de créer la plus grande transparence en matière de réglementations, et un environnement de transparence concernant les opérations menées par les compagnies engagées dans le processus d’extraction ».
Il y a trois semaines pourtant, une équipe de reporters de l’agence Reuters livrait une vision plus nuancée de l’extraction à Lesniowice, avec « sa tête de forage où Tim Nowak et son équipage font tout qu'ils peuvent faire pour produire. L'emplacement est une véritable ruche avec des camions de Halliburton, et tout le matériel répandu par terre, avec le grondement des foreuses à l'arrière-plan ».
Contactés à Strasbourg et à Bruxelles, des eurodéputés écologistes promettent de veiller au grain. Du côté des Verts genevois, Anne Mahrer souligne « la dimension transfrontalière des dossiers concernant l’extraction des gaz de schiste », et le fait que les projets d’extraction actuels « bafouent plusieurs conventions, dont la convention d'Aarhus » sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement. Elle dénonce des parlementaires européens « inféodés aux lobbies pétroliers et gaziers. Ils ne vont pas nous lâcher, avec le gaz de schiste. Nous non plus, nous n’allons pas les lâcher ».
(encadré 1)
« Pas de prise de position » à l’OMS
Au sujet de l’extraction industrielle des gaz et huiles de schiste, quelle est la position des agences onusiennes ? Deux grandes organisations sont concernées en premier lieu : le Programme des Nations unies pour l’environnement-PNUE et l’Organisation mondiale de la santé-OMS, qui a son siège à Genève. Malgré plusieurs demandes répétées, aucune réponse audible ni lisible ne nous est parvenue du PNUE à ce jour.
Du côté de l’OMS, une responsable de communication nous a finalement fait parvenir ce bref message : « l’OMS est attentive à l’intérêt croissant » autour de ce sujet, et « à l’importance de disposer de plus d’informations sur les impacts sanitaires résultant du fracking. Mais à ce stade, l’OMS n’a aucune position formelle en la matière, puisque cela nécessiterait des recherches et des évaluations plus poussées démontrant l’évidence de risques sanitaires ».
Une réponse consternante : les cas avérés de pollution et de contamination résultant du fracking sont légion, ne serait-ce qu’aux Etats-Unis et au Canada. D’autre part, c’est une publication co-éditée par l’OMS elle-même il y a presque trente ans (1), qui avançait cette mise en garde : « Un certain nombre de technologies en cours de développement, comme (…) l’extraction des huiles de schiste, risque de contribuer de façon significative à la quantité de déchets organiques rejetés » (dans la nature, Ndla) .
Nous avons joint par téléphone un de ses deux auteurs : le toxicologue hollandais Jan W. Huismans. « Il s’agissait d’une recherche scientifique sur la gestion des déchets toxiques, organisée par les secrétariats de l’OMS et du PNUE. Nous avions proposé avec mon collègue (du bureau régional européen de l’OMS, Michael J. Suess, Ndla) des lignes directrices et un code de pratiques concernant la gestion des déchets résultant d’activités industrielles. Nos recommandations ont été laissées sans suite ».
Que faudrait-il faire pour que l’OMS et le PNUE s’emparent vraiment de ce dossier, et prennent position ? « Il faudrait pour cela qu’un des pays membres fasse une demande d’étude, et mette le sujet à l’agenda. Cela n’a visiblement jamais été le cas ». En bref, ni les Etats-Unis ni le Canada, principaux exploitants historiques de ces ressources dites « non conventionnelles », ni plus récemment la France ou la Pologne, n’ont jamais fait un pas déterminant en ce sens dans l’enceinte des deux agences onusiennes. « Ces Etats sont plus enclins à pointer la gestion des déchets dans les pays du Sud, plutôt que de proposer des recherches sur ce qui se passe chez eux », conclut l’expert.
Aux Etats-Unis, la méthode de la fracturation hydraulique est utilisée depuis au moins cinquante ans. Elle a certes évolué techniquement, mais dans l’ensemble, ses impacts nocifs restent les mêmes.
Gilles Labarthe / DATAS
Avec Rayane Ben Amor
(1) « Management of Hazardous Waste. Policy Guidelines and Code of Practice », in: WHO Regional Publications, European Series, n° 14, Copenhague, 1983.
Bientôt pollués par des investisseurs suisses ?
Le 11 février dernier, plus de 2 000 personnes ont encore manifesté en France voisine, à Saint-Julien-en-Genevois, pour rappeler leur opposition aux projets d’exploration des sous-sols de la région en vue de l’exploitation de gaz et huiles dits « non conventionnels », car piégés dans des couches de schiste, à plus de 2 km de profondeur. De nombreux experts et géologues le répètent : le fracking entraîne des risques environnementaux et sanitaires majeurs. Parallèlement, des conseillers en investissement proposent actuellement à certains de leurs clients suisses de placer une partie de leurs avoirs dans des portefeuilles « énergie », favorisant indirectement les projets d’extraction en cours, en Pologne comme en France voisine. Rappelons que le permis de recherche de Gex M615, entourant la frontière cantonale genevoise, est attribué à un consortium d’entreprises anglo-canadiennes dont une entité, Eagle Energy, a un siège à Zoug.
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