ANALYSE
"Françafrique" : le changement, c'est maintenant
(15/05/2012) Sarkozy avait promis d’en finir avec les pratiques néocoloniales, clientélistes et occultes des « réseaux » français en Afrique, mais n’en a jamais rien fait. Les espoirs reposent maintenant sur le nouveau locataire de l’Elysée, François Hollande, qui entre en fonction aujourd'hui et doit nommer son Premier ministre, ainsi que sur le nouveau gouvernement qui sera officialisé demain. Pour mettre fin à la "Françafrique", rien ne sera vraiment possible sans une refonte des institutions

Gilles Labarthe / DATAS

Cette fois, associations et ONG de défense des droits humains ne lâcheront rien. Pas question de se laisser dérouter par de simples déclarations d’intention. Le président sortant Nicolas Sarkozy a cumulé pendant cinq ans les fausses promesses de « rupture » d’avec les pratiques néo-coloniales, clientélistes et affairistes menées depuis l’Elysée à destination des pays d’Afrique, et principalement du « pré-carré » francophone, pour maintenir un reste d’influence tricolore au sud de la Méditerranée. Avec les dérapages que l’on sait : signature de contrats nucléaires avec la Libye de Kadhafi en 2007, soutien militaire français au dictateur tchadien Idriss Deby en 2008, caution de la succession dynastique du clan Bongo au Gabon en 2009… jusqu’à l’intervention armée à Abidjan en avril 2011 pour « faire tomber » Laurent Gbagbo, qui s’accrochait au pouvoir.

Maintenant que la gauche française est enfin revenue aux commandes après l’élection présidentielle du 6 mai 2012, il s’agit de passer aux actes. Ces derniers jours, médias français et africains rappellent l’espoir que suscite François Hollande, président « normal », et surtout « sans tropisme africain ». Comme le souligne dans le Nouvel Observateur l’ancien ambassadeur au Sénégal, Jean-Christophe Rufin, « le manque "d'expérience africaine" du socialiste est un défaut qui pourrait très bien s'avérer, in fine, un atout si Hollande joue la carte de l'"homme neuf" ».

Un homme « nouveau », il le serait aussi parce que ses rares déplacements en Afrique l’ont porté en Tunisie, en Algérie ou au Maroc. Pas plus loin. Et dans le camp du Parti socialiste (PS), les visites affichées de ses proches conseillers ou des ténors politiques de son camp se sont pour l’essentiel concentrées en 2011 sur les pays à régimes « fréquentables » : Arnaud Montebourg au Niger du président démocratiquement élu Issoufou Mahamadou, Martine Aubry au Forum social mondial à Dakar, Sénégal…

Mais pour l’association Survie, qui milite depuis bientôt 20 ans pour une réforme de la politique africaine de la France et la fin des complicités avec les régimes autoritaires, l’attentisme reste de mise. Bien sûr, un gouvernement de gauche augure, « sur le terrain des valeurs, le retour à un climat plus serein, note Stéphanie Dubois de Prisque, chargée de communication ». Surtout après le quinquennat sarkozyste, marqué par l’arrogance en politique et une concentration exceptionnelle des pouvoirs à l’Elysée.

« En mars, nous avons encore interpellé François Hollande sur la présence militaire française en Afrique et sur sa position par rapport au franc CFA », liant toujours les 15 Etats subsahariens concernés au Trésor français - et par conséquent, décrié par de nombreuses ONG comme instrument de domination économique, à caractère néocolonial. « On a senti qu’il y avait un malaise sur ces sujets, poursuit Stéphanie Dubois de Prisque. Depuis, François Hollande a fait plusieurs déclarations. Il a par exemple proposé que les bases militaires françaises en Afrique soient réglementées dans le cadre des Nations unies ».

Hollande a encore réagi en affirmant à la vieille du scrutin présidentiel, dans une interview pour Afrique Education : « Je romprai avec la « Françafrique » en proposant une relation fondée sur l'égalité, la confiance et la solidarité. […] Si je suis élu, il y aura une rénovation en profondeur de la relation entre la France et l'Afrique. Je le dis avec clarté : le temps du paternalisme et de la condescendance est derrière nous. Pour moi, les pays africains sont nos partenaires ». Des propos auxquels on aimerait accorder un certain crédit : parmi ses proches conseillers pour les relations Nord-Sud, Hollande s’est entouré entre autres d’un « africaniste » respecté, Jean-Michel Severino, ancien directeur du développement au ministère de la Coopération (1989-1996) et ex-directeur général de l'Agence française de développement (2001-2010).

Le nouveau président enverrait un signal fort en intégrant avec son Premier ministre des « hommes nouveaux » aux postes-clé de son nouveau gouvernement, dont la composition devrait être annoncée demain. A l’inverse, si le portefeuille des Affaires étrangères revient à un vieux cacique du PS – plusieurs sources citent le nom de Laurent Fabius - la déception sera grande (lire encadré).

Choisir « les bonnes personnes pour les bons postes » ne suffira pas à liquider la Françafrique. L’équipe de François Hollande pourra encore s’appuyer sur les réflexions de députés socialistes qui, depuis plus d’une année, ont précisé les bases institutionnelles à partir desquelles réformer les relations officieuses entre la France et ses anciennes colonies (voir ci-dessous). Autrement dit : il faudra aller plus loin et « décoloniser aussi la France ».

Depuis 1958, les dossiers les plus sensibles de la politique africaine, tout comme ceux des affaires étrangères et de la défense, constituent un domaine réservé de l’Elysée. Cette disposition avait été mise en place aux prémices de la décolonisation, sous le régime du général de Gaulle. En 2012, et plus de vingt ans après la fin de la guerre froide, il est temps de tourner la page, de laisser l’Assemblée nationale débattre ouvertement et librement des « affaires africaines » - quitte à ce que certaines aboutissent enfin devant la justice.

(encadré 1)
Vieux caciques et dossiers brûlants
On se rappelle que les deux septennats de François Mitterrand n’ont abouti qu’à une légère inflexion de la « politique africaine » de la France, tout au plus. En période de cohabitation avec la droite, l’attitude irresponsable de certains socialistes, notamment lors du terrible génocide rwandais de 1994, est restée gravée à jamais dans les mémoires. Depuis peu, certains observateurs s’interrogent sur l’équipe chargée de conseiller François Hollande sur l’Afrique - continent dont il n’a pas fait une priorité. Mais aussi, sur la nature des récentes « missions » effectuées par des caciques du PS dans des Etats figurant « sur la liste rouge » de la Françafrique. La présence de Laurent Fabius au Gabon, en février dernier, n’est pas passée inaperçue. Pour Frédéric Lejeal, rédacteur en chef de la Lettre du Continent, on peut toutefois s’attendre à un réel changement d’attitude de la France par rapport à l’ancien pré carré d’Afrique centrale. « François Hollande a toujours été très clair sur le dossier des « biens mal acquis », n’hésitant pas à « charger » les chefs d’Etat concernés ». Cette affaire en cours d’instruction vise le clan Bongo au Gabon, la famille Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville et le potentat Obiang Nguema en Guinée équatoriale, tous accusés par des ONG d’avoir cumulé des biens mobiliers et immobiliers par des détournements massifs de recettes publiques. Hollande a d’ailleurs fait de la transparence un de ses arguments de campagne, y compris dans le domaine des industries extractives. « Par contre, il ne faut pas s’attendre à une remise en cause de la présence de Total au Congo, d’Areva au Niger ou de Bolloré en Afrique », pronostique Frédéric Lejeal. Enfin, c’est également sur le terrain de l’actualité internationale que le nouveau président est attendu : parmi les dossiers chauds, celui des otages au Sahara, de la lutte contre AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique) ou de la rébellion au Mali.

Gilles Labarthe / DATAS

(encadré 2)
L’urgence d’une refonte institutionnelle
« Afin de rendre effectif et crédible le changement de politique, il convient, en tout premier lieu, d'éliminer définitivement « le cancer de la Françafrique ». La disparition de cette nébuleuse de réseaux économico-politico-militaires, de ce système clientéliste pernicieux, de ces officines opaques, passe par une refonte institutionnelle qui, seule, est garante de démocratie et de transparence », martèle depuis plus d’une année le député et membre de la commission des Affaires étrangères François Loncle, qui a tracé une « feuille de route » en ce sens. Ce document de propositions en vingt pages, mis à jour en avril dernier, a été remis à l’équipe de François Hollande, précise François Loncle. qui entend suivre ces dossiers de très près : « Je serai très vigilant. A la moindre incartade, je le ferai savoir en m’exprimant publiquement ». Parmi les priorités : « clarifier les fonctions des différents décideurs et remplacer l’entregent d’émissaires officieux par un fonctionnement normal des services diplomatiques » ; rétablir un ministère spécifique, qui pourrait s’intituler « ministère du partenariat international », structurant « l'action des différents intervenants (ONG, collectivités territoriales, donateurs privés, organisations internationales, etc.), afin d'améliorer l'efficacité de la coopération » ; soumettre la politique africaine de la France au contrôle du Parlement, « en particulier dans les domaines de la coopération militaire et de l’aide au développement » ; enfin, « pour rendre lisible et visible la politique africaine de la France, il faut qu'elle s'incarne en un responsable clairement identifié, qu'elle perdure dans des structures stables, qu’elle soit publiquement approuvée et évaluée ». Ces propositions semblent largement partagées au sein de l’équipe du nouveau président de la République. Reste à les mettre en œuvre, sans tarder.

Gilles Labarthe / DATAS