MÉDIAS
Revue de presse
du recueil "Reportages de l'autre côté du monde", réalisé en collaboration avec Cécile Raimbeau, Daniel Hérard, Philippe de Rougemont, Christian Lutz, Olivier Chambrial, Sarah Elkaïm, Mekioussa Chekir, Ségolène Samouiller, Emma Tassy et Rayane Ben Amor.

/ DATAS

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Reportage à vitesse humaine
(29/06/2013) Radio Télévision Suisse - RTS, interview pour l'émission Médialogues

http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/medialogues/4988029-medialogues-du-29-06-2013.html#4988025

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Un retour aux sources, vers le "slow journalism"
(30/05/2013) Interview à la Radio Télévision Suisse-RTS, par Thierry Fischer et Pierre Philippe Cadert, pour l'émission Vertigo

"Reportages de l’autre côté du monde." Tel est le titre d’un petit ouvrage qui vient d’être publié aux éditions d’En Bas sous la direction de Gilles Labarthe. Un petit bouquin qui se met dans la poche et qui contient une vingtaine de récits; reportages réalisés dans un esprit tout à fait particulier. Cette démarche journalistique qui prend peu à peu sa place s’appelle "le slow journalism".

http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/vertigo/4906705-vertigo-du-30-05-2013.html

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"Coups de coeur > Essais"
(mai 2013) Librairie du Boulevard - Genève
" Une dizaine d’auteur-e-s, autant de femmes que d’hommes, de vrais reporters qui sillonnent le monde en prenant le temps de marcher et d’explorer, nous emmènent dans des lieux proches de votre destination de vacances ou pas : Turquie, France, Espagne, Italie et plus loin Yemen, Qatar, Venezuela ! Leur engagement éthique et politique les conduit à recueillir des récits négligés par les grands medias qui nous ouvrent des portes de compréhension nouvelles. 
À ne pas manquer ! "

http://www.librairieduboulevard.ch/cdc-essais.html

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Manifeste pour un journalisme à visage humain
(Genève, 05/05/2013) Sortir du mainstream, réagir face à l'accélération du rythme de l'information, imposée par Internet et les "nouveaux médias"... c'est la démarche que revendique l'agence DATAS, collectif de journalistes indépendants. Interview de Gilles Labarthe par Gorgui Wade Ndoye, à l'occasion de la sortie d'un nouvel ouvrage : "Reportages de l'autre côté du monde"

Gilles Labarthe, pourquoi ce nouveau livre ?
- Ce livre est d’abord un manifeste – même très modeste, puisque publié dans un format de poche. Il s’agit de rappeler qu’un autre journalisme est possible : un journalisme qui prend le temps de donner la parole aux personnes « oubliées » par les grands médias, de rester à l’écoute de leurs préoccupations.

Comme vous le savez, la presse est désormais dominée par des impératifs de rentabilité et d’immédiateté. On demande aux journalistes d’aller toujours plus vite, de « coller à l’actualité », sur le modèle de CNN, Internet et, désormais, des « réseaux sociaux ». Pourquoi s’aligner sur cette accélération générale du rythme ? Qui nous impose cette tendance ? Et surtout, à qui ou à quoi profite-t-elle ? A contribuer à la désinformation ambiante ?

Ras-le-bol de relayer des discours officiels, ou de ne relater que des événements « à chaud », dans une course à l’audimat. Hier, c’était la parade tricolore de l’intervention militaire française au Mali, ou la prise d’otages par d’obscurs islamistes au nord du Cameroun. Aujourd’hui, des images choc sur les scènes de pillages et de massacres à Bangui, en Centrafrique. Et demain ? Tout se passe comme s’il fallait se limiter à l’évocation médiatisée des symptômes, sans le recul ni l’attention nécessaires pour les causes profondes.

Face à ces contraintes du « temps réel », notre métier en ressort fragilisé, comme rarement depuis une génération. La dimension démocratique de notre mission d’informer est remise en cause. Voilà le constat que nous avons fait en 2004, et qui nous a amené à fonder l’agence de presse DATAS, collectif de journalistes indépendants. Se libérer du mainstream nous a permis entre autres de réaliser ces "Reportages de l’autre côté du monde".

Ensuite, ce recueil peut aussi se lire comme un bilan : notre réseau de journalistes a sillonné une quinzaine de pays, pour recueillir des témoignages au plus près, à la source. Et en somme, toutes les populations des « sans voix » que nous avons rencontrées nous racontent la même histoire, au nord comme au sud : elles nous disent qu’elles n’en peuvent plus de subir la mondialisation débridée de l’économie. Cette mondialisation à outrance a engendré des situations si désespérées qu’elles sont à la base de la plupart des foyers de tension et des conflits à venir. Cette mondialisation sans garde-fous, qui sert surtout des intérêts privés, est en train de ruiner nos Etats, notre planète.

Vous êtes connu pour faire des livres d'enquêtes, l'Afrique semble être un terreau propice pour vous, comment expliquez-vous cet intérêt ?
- Qui, au XXIe siècle, peut encore ignorer l’Afrique ? C’est le plus grand des continents. Un des plus anciens, par son histoire et ses civilisations. Le plus jeune, par sa population. Un des plus fragiles, en raison de son annexion par les forces armées lors de la période coloniale, puis des conflits meurtriers entretenus depuis l’étranger pendant la guerre froide. Cette ingérence étrangère n’a jamais cessé. Elle nous fait aussi comprendre qu’il s’agit d’un des continents les plus convoités, pour ses ressources naturelles – et quoiqu’en dise ce bluffeur de Nicolas Sarkozy. Malgré tous ces enjeux, l’Afrique reste le continent le plus sous-traité, et le plus maltraité dans les médias. J’essaie de comprendre pourquoi, et au passage de casser quelques contre-vérités encore très répandues.

Etes-vous confiant qu'un jour l'Afrique pourra enfin traiter d'égal à égal avec le reste du monde, y a-t-il des préalables ?
- Un des préalables serait précisément de briser le cercle vicieux de l’ignorance et du silence, qui permet à toutes sortes de réseaux mafieux liés à une élite politicienne locale et métropolitaine de continuer à piller et à déstabiliser l’Afrique, au détriment du plus grand nombre. C’est aussi le sens donné à mes trois ouvrages précédents , dans une démarche appuyée de près ou de loin par des organisations de défense des droits humains comme Survie ou Agir Ici, en France. C’est encore ce que revendiquent des acteurs de la société civile africaine, que nous avons pris le temps de rencontrer sur place et dans leur pays - et non pas en restant dans les bureaux climatisés des Nations unies, où règnent trop de précautions de langage.

Nous sommes allés au Maroc chez les ouvrières travaillant sur les champs de tomates exploités par des sociétés françaises ; à Kédougou au Sénégal auprès de villageois confrontés au saccage de leurs modes de vie traditionnels par les compagnies minières occidentales ; au Kenya pour évaluer les ravages provoqués par l’horticulture extensive et le changement climatique ; en Afrique du Sud pour « tracer la route » avec les laissés-pour-compte de l’ANC…

Dans le « parler vrai » des personnes interviewées, on retrouve le même diagnostic, qui fait penser à du Pierre Bourdieu dans le texte, pour son enquête collective de sociologie sur "La Misère du monde" : elles souffrent d’abord de ne pas être considérées, de voir leur propre histoire, leur besoins et leur avenir niés ; ensuite, de rester impuissantes et sans aide aucune tandis que leurs terres et leur environnement sont bradés au profit de multinationales étrangères ; enfin, d’être abandonnées par un gouvernement écrasé sous le poids de la dette, qui a renoncé à faire respecter les principes élémentaires de justice et de souveraineté nationale…

Or, sans souveraineté nationale, pas de liberté face aux bailleurs de fonds, au FMI et à la Banque mondiale, pas de liberté dans les alliances avec d’autres pays du Sud, ni de marge pour faire fonctionner une vraie fédération d’Etats africains, ni mettre en place une vraie Union africaine comme contrepoids d’autres Etats unis ayant le capitalisme financier pour seul horizon. Ce qui nous conduit à un second préalable…

Une conclusion ?
- D’une certaine manière, leurs paroles font écho à celle des premiers leaders indépendantistes, 50 ans plus tard. Mais aussi, à celles du récent mouvement des « Indignés », plus près de chez nous. Avec un plus : ces témoins et passeurs d’informations nous ont aussi proposé des pistes pour en savoir davantage, résister et s’en sortir. Elles sont mentionnées en fin de chapitres, pour que leur histoire ne s’arrête pas là.

Propos recueillis par Gorgui Wade Ndoye / Continent Premier Magazine

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Pour un journalisme au service des causes communes
Fondée en 2004 et basée à Genève, l’agence de presse indépendante DATAS est spécialisée dans les enquêtes et les reportages d’utilité publique. Avec une conviction : même la tomate-cerise n’est pas un « petit sujet »

Par Gilles Labarthe

Bon pour la santé, les tomates ? Tout dépend des conditions de production, et de la maturation. Les consommateurs suisses sont friands de ces petites tomates-cerises, qui ressortent avec les beaux jours. Elles font le succès des salades et accompagnements pour apéritifs. L’histoire pourrait s’arrêter là, se terminer en une bouchée. Pas de quoi faire les grands titres dans les médias, avec une histoire de petit agrume. Or, la recherche d’informations est à la base du travail mené depuis huit ans par l’agence DATAS, collectif de journalistes indépendants qui se reconnaissant dans une même démarche : cultiver le scepticisme, décrypter les discours officiels. Et surtout, se méfier de la communication servie par les multinationales.

Aussi, lorsque la société française Idyl, qui garnit les rayons de nos supermarchés, vante les « qualités gustatives typées » de ses « tomates Cocktail, tomates Cerise, et tomates Cerise Allongées ‘Etoile du Sud’ », un doute s’installe. D’abord parce que - vérification faite - ces tomates n’ont aucune saveur. Ensuite, elles proviennent de la région de Dakhla, au sud du Maroc. Quelle est l’empreinte écologique en émissions CO2 de ces tomates pleines de «jutosité », comme le promet la publicité d’Idyl ? On apprend que la totalité de la chaîne du froid et du transport est assuré « 100 % camions frigorifiques », pour « un gain de temps de plusieurs jours par rapport à l’acheminement maritime ».

Pire : certaines de ces tomates marocaines sont acheminées jusqu’à Moscou… depuis Dakhla, qui se situe en fait en plein Sahara occidental, dans une zone « sous occupation militaire et policière », rappelle le réseau international Western Sahara Resource Watch-WSRW. Ces cultures implantées en plein désert épuisent les réserves d’eau, captées dans des nappes souterraines. « La superficie agricole utile potentielle de la région est estimée à 1 million d’hectares, dans un rayon de 70 km autour de la ville de Dakhla. Pour ces pratiques, à l’instar des autres activités économiques imposées dans le territoire qu’il occupe, le Maroc peut être accusé juridiquement de pillage des ressources sahraouies en vertu des décisions de l’ONU », avance WSRW.

Ici, l’entreprise à capitaux français Soprofel, propriétaire de la marque Idyl, ne recrute pas d’ouvriers locaux. Elle exploite des employés marocains, déplacés pour l’occasion. Conséquence : avec le faible coût de cette main d’œuvre, la tomate « marocaine » met à mal les agriculteurs de proximité suisses et français, mais aussi les producteurs espagnols. L’entreprise franco-marocaine Azura est également présente sur ces lieux stratégiques de production de fruits et légumes. On la retrouve encore dans la région semi-aride qui s’étale d’Agadir à Aoulouz, première zone de cultures de primeurs du Maroc.

Grâce à notre réseau de correspondants à l’étranger, DATAS a pu en savoir davantage. Notre reporter Cécile Raimbeau s’est rendu sur place. Les témoignages qu’elle a recueillis sont édifiants : « ‘Tomates, oranges… J’ai tout fait ! ‘, soupire Kabira qui travaille depuis sept sans contrat, au gré des récoltes, pour 4,36 euros par jour (50 dirhams) selon le salaire d’usage. ‘Nous n’avons pas le droit de parler. Quand une femme ne travaille pas assez vite, elle se fait insulter par les chefs. Dans certaines fermes, ils frappent avec des bâtons’. Dernièrement, elle a enfin reçu un relevé de la Caisse de sécurité sociale qu’elle brandit, en colère : ‘ Sur toute ces années de travail, seuls trois mois ont été déclarés ! Ici, walou !’ (rien !), s’exclame la jeune Berbère ».

Et surtout, pour Kabira, comme pour bien des populations laminées par les « lois du marché », pas de quoi garantir une vie digne de ce nom. Son récit figure parmi les vingt-et-une histoires singulières que DATAS vient de publier avec les éditions d'En bas. Autant de Reportages de l’autre côté du monde, pour évoquer les dérives de la mondialisation, les moyens de résister… et d'en sortir.

(Publié dans le bimestriel Causes communes, n° 30, Genève, mai 2013)