MÉDIAS
Liberté de la presse au Togo : un combat de tous les instants
(03/05/2013) Intimidations de journalistes, menaces, censure des médias… Au Togo, défendre le droit d’informer n’est pas une sinécure. Certaines associations récentes n’hésitent pas à monter au front, comme SOS Journaliste en Danger

Gilles Labarthe / DATAS

Que se passe-t-il au Togo, minuscule pays jadis surnommé « la Suisse de l’Afrique » ? La situation globale de la liberté de la presse a évolué en mieux depuis la mort en 2005 du général Eyadéma, après 38 ans de régime autoritaire. Avec la succession au pouvoir d’un de ses fils, le « technocrate » Faure Gnassingbé, le paysage médiatique s’est développé, comme dans les pays voisins : apparition de nombreux titres privés, essor d’Internet et des réseaux sociaux… Malgré cette diversité apparente, les moyens de pression et instruments de contrôle sont aussi devenus plus retors, dénonce l’association SOS Journaliste en Danger. Les explications d’Augustin Koffi Améga

Augustin Koffi Améga, quel est votre parcours ?
- J'ai une quinzaine d'années d'expérience dans le journalisme et autant dans l'engagement en faveur de la liberté de la presse. J'étais auparavant Secrétaire général de l'Union des Journalistes indépendants du Togo (UJIT). Je suis aujourd’hui conseiller au sein du bureau exécutif de SOS Journaliste en Danger.

Vous avez quitté l’UJIT pour une association plus combative. Dans quel contexte a-t-elle été créée ?
- SOS Journaliste en Danger a été fondé en 2010, au lendemain de la formation du gouvernement du Premier ministre Gilbert Houngbo (et après la « réélection » contestée de Faure Gnassingbé en mars 2010, Ndlr). Il avait alors été décidé lors du premier conseil de ce gouvernement, selon des indiscrétions qui nous étaient parvenues, d’introduire de nouvelles mesures visant à museler la presse. Le chef de l'Etat a vite donné le ton, avec une kyrielle de plaintes contre certains journaux, pendant que d'autres étaient l'objet de harcèlements de la part du procureur de la République. La Radio X Solaire, dont une émission en langue nationale dérangeait le pouvoir, a été frappée d'une mesure illégale de fermeture de la part de l'Autorité de réglementation des postes et télécommunications. Face à l'attitude complaisante des organisations de presse, dont l’UJIT, nous avons décidé de mettre en place une nouvelle association.

Les journalistes togolais ont encore manifesté en février et mars 2013 contre une nouvelle loi entravant la liberté d’information. De quoi s’agit-il ?
- Il s'agit d'une nouvelle loi, qui érige la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication (HAAC) en organe juridictionnel. Elle lui confère des pouvoirs de sanction que l'article 26 de la Constitution de la IVe République togolaise réservait jusque-là exclusivement à la justice. Ses pouvoirs s’étendent désormais, et vont du retrait de récépissé d'un journal, jusqu’au retrait d’autorisation d'un média audiovisuel. C’est une volonté de caporaliser la presse. Mais cette approche qui vise à réguler par des moyens coercitifs le contenu des médias est révélatrice d'un déficit dans le diagnostic des maux qui minent la presse : on pointe les dérapages sur Internet, la dynamique induite par les réseaux sociaux. Le gouvernement ferait mieux de chercher à préserver les titres existants, plutôt que de pousser les citoyens vers de nouveaux médias qui ne sont astreints à aucune obligation de déontologie et ne sont souvent même pas animés par des professionnels.

Les visiteurs étrangers sont souvent surpris par la liberté de ton, le côté satyrique voire les propos diffamatoires imprimés dans la presse ouest-africaine en général…
- A priori, le paysage médiatique togolais semble démocratique, avec une pluralité d'opinions et une diversité de titres. Mais il s'agit d'une liberté de façade. Pire : le gouvernement laisse faire des brebis galeuses, entretenues par certains milieux du pouvoir, afin de dénigrer l'ensemble de la profession. Les médias sont en partie responsables - certains acteurs n'ont pas de formation qualifiée. Les insuffisances sont surtout la conséquence d'un manque de volonté politique d'aider à la promotion de l'indépendance et de l'excellence dans le secteur. A cela s’ajoute l'instrumentalisation des organes de régulation, le manque de sens éthique et de responsabilité des associations représentatives des médias, un climat politique marqué par des injustices criardes et la violence d'Etat…

Quelles sont les difficultés actuelles que vous rencontrez à Lomé ?
- Le fait que les membres de la HAAC soient mandatés uniquement par des politiques. La vétusté du marché publicitaire. Le manque d'esprit d'entreprise chez les promoteurs des organes de presse. Faute de véritables entreprises de presse, il n'y a quasiment pas de rémunérations suffisantes pour les journalistes. Le journalisme survit comme dans les années 90 : en rupture avec son rôle traditionnel d’informer. Il est plutôt vu comme moyen d'engagement en faveur du changement politique, relevant du bénévolat. La presse est clochardisée, muselée… La solution passe avant tout par l'amélioration des conditions de travail.

La corruption de journalistes et la distribution « d’enveloppes » est une pratique courante au Togo, entraînant la publication d’articles de connivence, de complaisance, ou au contraire attaquant violement des personnalités politiques pour les discréditer…
- C'est malheureusement, là aussi, une des réalités de la presse togolaise. A croire que cela ne gène ni à la HAAC, ni l'Observatoire togolais des médias (OTM), où aucune initiative n'est prise pour juguler le mal. Mais cela devient de plus en plus un phénomène marginal, même si certains cercles du pouvoir n'en sont pas étrangers.

On parle beaucoup de menaces que l'Agence nationale de renseignement-ANR fait planer sur les journalistes traitant de sujets « sensibles »…
- L'ANR est placée sous la responsabilité de la Présidence. Contrairement à ces prérogatives, elle fonctionne comme une police politique. Elle traque notamment les politiciens et des journalistes, mis sur écoute sans autorisation préalable du juge. Mais il y a eu cette affaire de la tentative de falsification du rapport de la Commission nationale des droits de l'Homme-CNDH sur la torture (en février 2012, le gouvernement rendait public une version édulcorée du rapport, évacuant les allégations de torture commises par l’ANR sur des détenus politiques ; dans le même temps, Koffi Kounté, président de la CNDH, remettait aux journalistes togolais la version intégrale, avant de s’enfuir en France, Ndlr). Depuis, l’ANR est sous les feux de la rampe et donc, fragilisée. Son directeur, le colonel Massina Yotroféï, réputé pour ses méthodes fortes, a été « envoyé en stage » à l'étranger. D’ailleurs, Faure Gnassingbé aurait répété plus d'une fois qu'il ne souhaitait plus entendre parler d'assassinat de journalistes au Togo. Si cela advenait, on pourrait en déduire que c'est avec son accord.

Finies, les « disparitions » ou les éliminations de journalistes dont les enquêtes - notamment sur les réseaux actifs dans le trafic de drogue - dérangeaient le pouvoir en place ?
- Cette réalité a beaucoup évolué avec l'attachement déclaré de Faure Gnassingbé pour la liberté de la presse. Restent les tentatives de museler les médias, par un moyen ou par un autre.

Avez-vous des contacts réguliers avec d'autres organisations, en Europe, en Suisse ?
- Les organisations internationales de défense de la liberté de presse ont baissé la garde après le « climat d'apaisement » au Togo, entre 2006 et 2010. Elles sont redevenues alertes : le Togo a reculé de 4 points dans le dernier classement de Reporter sans frontières-RSF. L'adoption de la dernière loi concernant la HAAC a été unanimement condamnée. Nous sommes toujours en contact et leur faisons régulièrement le point de l'évolution de la situation. Certaines sont embarrassées par la démission de l'UJIT, dans son rôle de défenseur de la liberté de la presse. Pour avoir été l'initiateur du programme de restructuration des organisations de presse - un programme appuyé par l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), avec pour objectif un regroupement plus efficace des associations -, je vis cette évolution la mort dans l'âme. Mais fort heureusement, d'autres organisations ont pris le relais. Il faut adhérer, tenter de sauver les acquis, comme je le fais aujourd’hui au sein de SOS Journaliste en Danger, dont le président est Ferdinand Ayité.

Comment assurer le relais, ici ?
- Nous attendons d’abord des syndicats de journalistes suisses qu'ils relaient et amplifient notre lutte pour la défense de meilleures conditions de travail, garantissant un libre exercice de la profession de journaliste. Ensuite, qu’ils nous soutiennent dans des programmes de recyclage des journalistes et de renforcement de leadership dans la direction de nos organisations représentatives. Tout ceci pourrait se faire aussi en collaboration avec notre centre des médias, la « Maison de la Presse ».