ANALYSE
Le diamant, pierre angulaire de l’insécurité en Centrafrique
(29/05/2013) Le trafic de diamants avec le Tchad et le Soudan a servi de base de financement à la Seleka, coalition de rebelles qui a pris le pouvoir le 24 mars à Bangui et porté leur leader, Michel Djotodia, à la tête d'un nouveau gouvernement de transition. La Seleka a depuis étendu le contrôle sur la plupart des gisements du pays

Gilles Labarthe / DATAS

Les photos se succèdent, les unes après les autres. Avec toujours la même horreur : des corps mutilés, couchés sur des civières et des lits de fortune, maculés de sang. Depuis des semaines, le reporter centrafricain Alfred Salamatou tente d'alerter l'opinion sur les exactions commises depuis mi-avril par des éléments incontrôlés des forces de la Seleka sur la population de Bangui. L’influence de cette coalition de mouvements rebelles venus du nord-est du pays s’inscrit désormais dans la durée, depuis leur arrivée le 24 mars 2013 dans la capitale de la République centrafricaine. Plus encore, après « l’élection présidentielle par acclamation » de leur leader, Michel Djotodia, samedi 13 avril. Un point culminant des violences a été atteint lors du long week-end meurtrier, les trois jours suivants. Bilan : une vingtaine de morts, des dizaines de blessés, dont des enfants, et de nombreux règlements de compte de part et d’autre.

Impossible d'oublier ce qui s'est passé. Un mois plus tard, c’est toujours dans la crainte que vivent les habitants de Bangui, pris au piège entre groupes rebelles, pilleurs, unités Seleka et anciens soldats réguliers des FACA, forces armées centrafricaines, dont certains sont restés fidèles à l’ex-président François Bozizé, chassé du pouvoir. « L’insécurité est permanente, elle reste le problème n°1 de la population. A Bangui, la situation est morose : l’administration fonctionne mal, les salaires ne sont pas payés, les activités économiques paralysées, les écoles fermées, les pillages quotidiens… pour l’instant, on a l’impression d’être revenus 50 ans en arrière ! », témoigne depuis la capitale Sylvain Pathé, journaliste de Nouvelle Vision. De nouveaux accrochages ont fait au moins quatre morts parmi les civils, les 9, 10 et 17 mai.

Comment se tenir informé de l’évolution exacte du conflit politico-économique en cours ? Une partie du nouveau gouvernement d’unité nationale formé à la hâte autour de Michel Djotodia, dont le Premier ministre Nicolas Tiangaye, a annoncé une accalmie, le début des opérations de désarmement à Bangui et le cantonnement progressif de forces armées Seleka sous son commandement, entre autres à la base de Bria (centre-est). Une version soudain contredite le 15 mai par le ministre de la Communication, Christophe Gazam-Betty, qui évoque plutôt des déploiements militaires en vue de « sécuriser le pays ».

Plusieurs observateurs et ONG, dont Human Rights Watch, dénoncent les exactions et le virage autoritaire pris par le président de transition Michel Djotodia, déjà impopulaire dans la capitale pour diverses raisons (voir encadré). Il se dit aussi que ce déploiement armé aurait pour but non avoué de faire main basse sur tous les gisements diamantifères, non seulement de la moitié nord-est du pays, déjà sous la coupe de la Seleka depuis décembre 2012, mais aussi ceux au nord et à l’ouest de Bangui, et près de la frontière camerounaise (lire notre interview). Michel Djotodia a souligné à plusieurs reprises que la recherche de moyens de financement était l’une de ses principales priorités – avant même le retour au calme dans la capitale, craignent certains.

La République centrafricaine doit certes se reconstruire sur des bases difficiles : la présence sur son sol d’une multitude de mouvements d’opposition et de groupes rebelles armés - y compris étrangers ou appuyés depuis les pays limitrophes, dont le Tchad, le nord et le sud Soudan et les deux Congo. L’économie est sinistrée malgré d’importantes ressources en pierres précieuses, or, bois, et le mirifique projet de mise en valeur des réserves d’uranium de Bakouma. A cela s’ajoute un projet d’exploitation de pétrole dans le centre du pays, que Bozizé aurait voulu confier à des partenaires chinois – un impair qui aurait accéléré sa chute.

Malgré toutes ces richesses, l’espérance de vie ne dépasse guère 44 ans et le pays reste abonné au rang des dix Etats les plus pauvres du monde. Depuis longtemps, « le secteur minier en RCA connaît de sérieux désordres, la corruption, les fraudes massives organisées », note Jean Mathieu Moloyet, secrétaire exécutif de l’Alliance pour le développement des ouvriers miniers en Centrafrique – ADOMC. Cette structure basée à Bangui réclame - en vain - une meilleure gouvernance et une formalisation des exploitations artisanales d’or et de diamant.

Le clan de l’ex-président Bozizé avait fait du contrôle sur le secteur du diamant une affaire personnelle, sinon familiale. Il avait placé son propre neveu, le très sulfureux Sylvain Ndoutingaï, à la tête du ministère des Mines dès le lendemain de son putsch du 15 mars 2003 – et jusqu’à juillet 2012, avant de rattacher la fonction directement à la Présidence. « Mais il y avait eu un mieux ces dernières années, et une remise en examen de contrats miniers », nuance un responsable d’ADOMC.

Outre l’enrichissement personnel, François Bozizé est aussi accusé d’avoir fait saisir de manière abusive en novembre 2008 les gemmes et fonds des collecteurs de diamants et des bureaux d’achat. Depuis lors, un de ses plus farouches ennemis se nomme Igor Kombot Naguemon, important diamantaire du pays. Avec la mise en route du nouveau gouvernement, Igor Kombot Naguemon tient sa revanche : il a été nommé ministre conseiller aux Mines auprès de la Présidence. Fera-t-il en sorte de lever l’opacité qui règne sur ce secteur ? La tâche qui l’attend est immense.

(encadré 1)
Double sanction sur la Centrafrique
Plusieurs diamantaires centrafricains ont admis avoir financé ces derniers mois les activités de l’ex-rébellion Seleka, allant jusqu’à revendre des pierres au Soudan et au Tchad pour alimenter l’effort de guerre. Les soupçons sont tels que la République centrafricaine (RCA) vient de subir une double sanction. Le 12 avril, l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives-ITIE annonçait la suspension à titre provisoire de la RCA de son statut de candidat au processus, « en raison de l’instabilité politique et faute d’un gouvernement reconnu ». Le 10 mai, le Processus de Kimberley, oeuvrant pour une certification internationale sur les diamants bruts afin de lutter contre la commercialisation de « diamants du sang », extrait dans des situations de conflit, aurait de son côté imposé un embargo temporaire, selon des informations recueillies par le Wall Street Journal.

Contacté à Bangui, un responsable d’ADOMC confirme avoir lu les arrêtés : « C’est vrai qu’aujourd’hui, le pays ne peut pas garantir la transparence. Dans le même temps, le diamant est une des premières sources de revenus. Cela pose un très grand problème. Les diamants extraits dans le nord-est sont exportés d’abord dans les pays voisins, comme au Tchad. Une partie arrive ensuite en Italie et dans les pays du nord de l’Europe ».

La position dominante des forces de la Seleka dans le secteur diamantifère a encore été confirmée début mai par un reportage d’Associated Press. Les Seleka interdiraient désormais la commercialisation des gemmes aux acteurs qui ne sont pas issus de leurs rangs. Leur position s’est étendue au nord, mais aussi de plus en plus dans d’autres régions du centre et de l’ouest, nous précise depuis Bangui Sylvestre Sokambi, journaliste de Le Confident, qui relève que l’activité minière tourne depuis un mois au ralenti en raison de la crise actuelle que traverse le pays.

En attendant, le nouveau ministre des Mines Hertbet Gontran Djono Ahaba a assuré le 15 mai lors d’un point de presse dans la capitale centrafricaine : « Nous allons faire un état des lieux en ce qui concerne les contrats miniers, tout ce qui a été signé (...) avec les concessionnaires à l'époque de l'ex-président Bozizé ». A suivre.

GLE / DATAS

(encadré 2)
Djotodia, « un étranger à Bangui »
Politicien d'opposition issu du nord-est du pays, ancien consul de Centrafrique au sud Soudan, proche de plusieurs mouvements rebelles musulmans, promoteur déclaré d'une « nouvelle République islamiste », allié par opportunisme au dictateur tchadien Idriss Déby… Michel Djotodia cumule les caractéristiques qui font de lui « un étranger à Bangui », capitale à majorité animiste et chrétienne. L’attitude des « enturbannés de la Seleka », selon l'expression d'un fonctionnaire européen en poste, n’ont rien fait pour améliorer les choses, patrouillant en ville lourdement armés sur des pick-up 4x4 baptisés à la peinture : « Commando tête de mort », « Colonel tueur », « Seleka express »…

« Même sans parti pris, on doit admettre l'évidence : pour le moment, Michel Djotodia reste impopulaire ici », résume un correspondant. « La population appelle à un retour à la sécurité, mais les pillages continuent. Des soldats Seleka ont chassé des habitants de leur domicile pour s'installer chez eux. Au nord, vers Kaga Bandoro, ils ont brûlé plus d’une centaine de maisons fin avril en représailles contre des habitants qui s'opposaient aux exactions avec des armes artisanales, tuant une dizaine de personnes. Au niveau du pouvoir, tout se passe comme si la région du vainqueur s’attribuait les principaux postes ministériels, dont celui des Mines, confié à un de ses proches ».

Bria, Bambari, Kaga Bandoro… toutes ces localités où se concentrent les Seleka sont riches en or ou en diamants. Quelles sont les sociétés étrangères présentes sur ces marchés ? « Pour le moment, aucune idée », regrette un informateur sur place. D’autres sources rappellent que sous la présidence de Bozizé, la piste des exportations de diamants bruts menait à Anvers, Tel-Aviv, mais aussi Paris, Genève et Zurich.

GLE / DATAS