ANALYSE
Débat sur la transparence à l’AJM
Loin de condamner les journalistes à l’oubli, WikiLeaks a montré qu’ils jouent un rôle crucial dans la recherche et l’analyse des informations pertinentes. Un débat a l’Académie du Journalisme et des Médias-AJM de l’Université de Neuchâtel a permis de battre en brèche certains préjugés liés à la profession

Gilles Labarthe / DATAS

Salle pleine et pari réussi pour les organisateurs de la conférence intitulée «Le combat pour la transparence : bataille perdue ou bataille à mener?», le 24 mai 2013 à l’Université de Neuchâtel. A l’invitation de l’Académie du Journalisme et des Médias-AJM, cette journée a permis de débattre avec une douzaine de chercheurs, personnalités, responsables de médias et experts – dont l’ex-procureur et défenseur des droits de l’homme Dick Marty, le directeur de recherche au Reuters Institute Robert Picard ou l’Islandaise Birgitta Jónsdóttir, du Parti Pirate, qui travaille avec «des réfugiés de l’information», selon son expression.

Plusieurs intervenants ont insisté sur l’importance de définir la place des journalistes dans le processus de libre accès à l’information. Ainsi la professeure à l’AJM Cinzia Dal Zotto, une des initiatrices de ces rencontres avec le professeur de journalisme à l’Université de Stockholm Christian Christensen. Le sujet de la transparence revient en force. Notamment, après la vaste opération OffshoreLeaks. Une perspective de partage d’informations qui permet de mettre en œuvre des recherches communes, renforcer les collaborations sur le travail d’enquête… mais pose aussi la question des limites.

Or, la mise à disposition massive de données secrètes et confidentielles par des organisations de “whistleblowers” (lanceurs d’alerte) soulève quantité de questions, avertit Christian Christensen. Le phénomène WikiLeaks a trop vite été lié aux discours généralistes sur la liberté du web; à une vision «techno-romantique» (Internet au service de la liberté d’informer) au détriment du contenu (des données qui ne «parlent» que si elles sont analysées, croisées); à la personnalité supposée du «traître à la patrie» Julian Assange, plutôt qu’à ses objectifs réels, etc.

En ciblant d’emblée les câbles diplomatiques américains divulgués en réaction à l’intervention militaire en Irak et en Afghanistan, la presse a aussi relayé une vision polarisée. En bref: WikiLeaks contre l’hégémonie politique des USA. Elle s’est moins intéressée à certains versants oubliés: une opération destinée à remettre en cause les oligopoles des grands groupes de presse; une mine d’informations concernant les méfaits de multinationales, comme Trafigura; et le renforcement sans précédent de la répression contre la liberté d’informer sous l’administration d’Obama, assimilant désormais certains whistleblowers à des «terroristes».

«Parmi les mythes qui ont accompagné le phénomène WikiLeaks et les réseaux sociaux, on a beaucoup parlé du déclin et de la mort du journalisme. Paradoxalement, ces divulgations ont permis de mettre en évidence le rôle central des journalistes, dans la recherche des informations pertinentes, l’analyse, le traitement. WikiLeaks a attiré l’attention sur la transparence gouvernementale – en net recul depuis aux Etats-Unis. Mais aussi, sur l’opacité des sociétés privées».

Kristinn Hrafnsson, porte-parole de WikiLeaks, a d’ailleurs rappelé les mesures de rétorsion qu’a subies son organisation – dont une campagne de dénigrement dans les médias et la fermeture provisoire d’une de leurs comptes bancaires par Postfinance. En Suisse, outre la réaction des milieux économiques visés, la divulgation d’informations dont l’intérêt public est pourtant avéré se heurte encore à trop de barrières, ajoute le journaliste et producteur du magazine d’enquête Temps Présent, Jean-Philippe Ceppi: «Les lois protégeant des auteurs de fuites sont plus fortes en Inde ou en Afrique du Sud».