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MÉDIAS
Centrafrique : alerte rouge sur la liberté de la presse
(27/08/2014) Depuis plus d’une année, les menaces de mort pleuvent sur les journalistes de République centrafricaine qui tentent de poursuivre leur mission d'informer. Et le dernier rapport de Reporters sans Frontières-RSF est accablant. Témoignages
Gilles Labarthe / DATAS
Le contexte de la liberté de la presse s’est encore dégradé en République centrafricaine (RCA), enclavé entre le Tchad, des deux Soudan, les deux Congo et le Cameroun. Un premier signal d’alerte avait été lancé dès mars 2013, après la mise à sac de la plupart des sièges de radios et de rédactions par les éléments de la Seleka, coalition de mouvements rebelles musulmans emmenés par leur leader nordiste Michel Djotodia, marchant sur la capitale Bangui. Le renversement le 24 mars 2013 du président François Bozizé n’a rien arrangé.
Depuis décembre 2013, c’est aussi la montée en puissance des « anti-balaka » qui menace la liberté d’informer. Ces milices dites « chrétiennes », mais composées autant de jeunes désoeuvrés, de coupeurs de route, de paysans spoliés, que d’anciens partisans civils et militaires du régime de Bozizé, s’en prennent elles aussi aux journalistes.
Sur le dernier classement de la liberté de la presse publié en mai dernier par Reporters Sans Frontières-RSF pour la période 2013-2014, le Centrafrique a perdu 44 places, dégringolant à la 109 position sur 180. Les journalistes sont désormais pris entre deux feux. « Accusés par les deux bords de faire le jeu de l’une ou l’autre des factions », souligne RSF.
L’organisation dresse un bilan sinistre : en une année, trois journalistes sévèrement agressés, et trois morts. La journaliste centrafricaine Elisabeth Blanche Olofio est décédée à Bangui le 22 juin dernier, des suites de violences commises en janvier 2013 par des hommes de la Seleka. Cette mort fait suite à celle de la photographe française Camille Lepage, tuée en mai 2014, lors d’un reportage à l’ouest du pays. RSF recense encore 24 journalistes menacés de pressions diverses, et 7 menacés de mort.
Parmi eux, le journaliste-blogueur Johnny Vianney Bissakonou. Ayant reçu des menaces de la Seleka - il a été accusé de la « diaboliser » et de « ternir l'image du pays » - il s’est réfugié en France, où nous l’avons contacté.
Comment accuser Johnny Vianney Bissakonou de partialité ? Il a toujours dénoncé les crimes commis contre la démocratie, de part et d’autre. A Bangui, il se définissait comme un « porte-parole du citoyen lambda ». De 2010 à 2013, il a collaboré à Radio Ndeke Luka, une station soutenue par la Fondation Hirondelle, spécialisée dans la formation et l'appui de journalistes en situation de conflit.
Il a d’abord informé ses concitoyens et les médias internationaux sur les dérives autoritaires du régime Bozizé. Un potentat en chassant un autre, il a ensuite écrit sur les exactions commises par la Seleka. Toujours en cherchant à nuancer la présentation du contexte actuel, tandis que des journalistes occidentaux diffusaient des généralités hâtives, parlant de conflit « ethnique », « religieux », voire de « génocide ».
« Oui, les gens sont massacrés sur la base de leur appartenance religieuse. Mais la population est prise en otage par une minorité d’individus qui manipule des groupuscules de bandits en vue d’accéder au pouvoir politique ». Johnny Vianney Bissakonou renvoyer dos-à-dos les factions de hors-la-loi qui sèment la terreur afin de mieux piller les richesses du pays.
Au centre des enjeux, un moyen de financement des conflits sur lequel il est impossible d’enquêter en RCA sans risquer sa vie : les diamants bruts. Une manne « qui a intéressé toutes les présidences successives ». Le contexte du conflit actuel est marqué par la lutte entre camps rivaux pour la prise de contrôle de ce secteur lucratif. Lutte qui implique des protagonistes évoluant dans le premier cercle du pouvoir. Mais qui oserait les dénoncer ?
Des menaces de mort, Maurice Wilfried Sebiro, directeur de publication du site d’informations Centrafrique Libre, en a encore reçu le 22 juillet 2014, de la part de Jean-Jacques Demafouth, actuel conseiller à la Présidence en matière de sécurité, ex-ministre de la Défense et ancien chef rebelle. Il n’a pas apprécié la tournure d’un article concernant son passé récent. Et lui aurait formulé cet avertissement : « Ne mettez plus pied à Bangui, sinon vous verrez ce qui vous arrivera ».
Les responsables de formation ne sont pas non plus épargnés. A Bangui, le journaliste-reporter Pascal Chirhalwirwa, originaire de la ville de Bukavu (Est de la République Démocratique du Congo) travaillait depuis 2009 comme coordinateur national de projets de développement et d’appui au secteur des médias en Afrique centrale, pour l’Institut Panos. Il témoigne depuis le Cameroun, où il a fini par se réfugier.
« En décembre 2012, j’ai été évacué avec ma famille après les premières attaques de la Seleka. De retour en février 2013, j’ai essayé de reprendre les activités. Ça n’a pas traîné. Quand la Seleka a renversé le régime de Bozizé, nos bureaux ont été pillés et saccagés dès l’entrée des rebelles dans la ville. Revenu à Bangui en mai 2013, j’ai été contraint de quitter le pays encore une fois, à la suite de menaces téléphoniques de mort, proférées par des personnes inconnues ». Le phénomène s’est généralisé : « Le contexte d’insécurité et les menaces que les journalistes subissent les poussent à l’autocensure ».
Parmi les sujets les plus sensibles : rendre compte de manière objective des exactions, ou dénoncer les liens de personnalités politiques avec des affaires de corruption. « L’accès aux sources d’information et aux zones d’exploitation des diamants est très difficile et très risqué. Les protagonistes du conflit et responsables des partis politiques ne sont souvent pas prêts à dévoiler aux médias leurs sources de financement ».
Pour l’heure, que faire pour soutenir le travail d’information des journalistes en Centrafrique ? La solidarité au niveau international reste une voie. « Toutes ces menaces de mort passent malheureusement sous silence ». Et restent sans suite, faute d’enquêtes pour identifier les auteurs de ces pressions. « La justice s’investit peu, ou presque pas », regrette Pascal Chirhalwirwa.
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