ENQUÊTES
Des forêts transgéniques pour contrer l’effet de serre
L’industrie forestière canadienne s’apprête à utiliser pour la première fois des arbres OGM. Conçus dans des laboratoires depuis 1995, ces " super arbres " devraient augmenter le rendement des forêts et contribuer à la lutte contre l’effet de serre. Enquête sur la manipulation controversée des forêts commerciales

Philippe de Rougemont / DATAS

Après les aliments OGM, les laboratoires élaborent les superarbres de demain. Depuis une dizaine d'années, peupliers et acacias ont été manipulés pour devenir résistants aux herbicides, pousser plus vite ou contenir moins de lignine, afin de faciliter leur transformation en pâte à papier. A Milan, La 9e convention du Protocole de Kyoto a même permis de comptabiliser le reboisement en arbres OGM comme une contribution à la lutte contre l'effet de serre! Mettre les arbres OGM au service de l'écologie? La tentation est grande pour les industriels du bois cherchant à défendre les vertus de leurs nouveaux produits transgéniques. Et les perspectives ne manquent pas.

Forêts industrielles
Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la superficie des forêts de plantations a quadruplé entre 1990 et 2000. La FAO encourage la recherche vers des applications quasi industrielles. Comme l'explique Pierre Sigaud, expert de génétique forestière de l'organisation, «on ne peut pas se permettre d'ignorer les arbres génétiquement modifiés comme stratégie valable pour rendre les plantations plus productives». Selon Arborgen, le plus grand consortium mondial de recherche en transgénie appliquée à la foresterie, «les nouveaux arbres permettront d'augmenter la productivité et ainsi de préserver des forêts anciennes».
Lutte contre l'effet de serre, reboisement, préservation... Les bonnes intentions abondent, faisant des arbres transgéniques un nouvel objet de polémique. Le WWF a ainsi lancé une pétition internationale demandant au Forum des Nations Unies sur les forêts de condamner l'utilisation des arbres génétiquement modifiés pour lutter contre le changement climatique. Le FSC, organisme certifiant le bois provenant de cultures respectueuses de normes environnementales et sociales «se refuse à certifier des forêts où la recherche et la gestion comportent la présence ou l'utilisation d'OGM». L'introduction d'arbres transgéniques suscite les mêmes préoccupations que les OGM utilisés dans l'agriculture. Avec leur importante durée de vie, les arbres produisent pendant des décennies feuilles, pollen et semences, qui risquent de se fixer au sol et de disséminer leurs protéines génétiquement modifiées.
Le transfert accidentel du nouveau caractère génétique à des arbres voisins étant inévitable, un des champs de recherche prioritaires est le contrôle de la floraison et l'élaboration d'arbres transgéniques stériles. On craint aussi une invasion incontrôlée de superarbres, lesquels se comporteraient comme de nouvelles espèces nuisibles. L'utilisation accrue de pesticides, rendue possible par des arbres génétiquement immunisés, pourrait encore favoriser l'émergence de populations d'insectes résistants...

Expérimentations en cours
De nombreux essais en laboratoire ou en plein champ ont pourtant déjà eu lieu. Le Ministère de l'agriculture des Etats-Unis a approuvé 115 lâchés expérimentaux concernant onze espèces d'arbres. D'autres essais en plein champ ont été réalisés en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Canada, en Afrique du Sud, au Chili, en Chine, mais aussi en Europe.
Jusqu'ici, d'après Greenpeace, «l'industrie forestière n'a pas formulé de demandes l'autorisant à utiliser sans restriction des arbres GM à des fins commerciales». Selon le Secrétariat d'Etat canadien des forêts, «aucun arbre GM n'est encore commercialisé au Canada ou aux Etats-Unis, mais des recherches pour modifier génétiquement des arbres sont en cours». Les différentes recherches menées sur les arbres transgéniques visent des objectifs bien distincts: déposer des brevets pour les uns, explorer les effets sur l'environnement pour les autres.
A la Direction fédérale des forêts de l'OFEFP (Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage), Thomas Grünenfelder informe que son département «ne traite pas de ce sujet. Les arbres génétiquement modifiés? Il y a bien assez de variétés d'arbres déjà présentes en Suisse dans la nature». L'environnement montagneux protège le gros des forêts suisses d'une exploitation industrielle. Ce n'est pas le cas des forêts canadiennes qui devraient connaître ces prochaines années l'introduction d'arbres issus des laboratoires.