SUISSE
Bonne année pour les exportations suisses en Irak
Contrairement aux idées reçues, l’insécurité qui règne en Irak n’empêche pas le développement des affaires. Cette année, la Suisse aura presque triplé ses exportations vers Bagdad depuis 2003, totalisant plus de 81 millions de francs de janvier à octobre. Les pharmas tiennent le haut du pavé

Gilles Labarthe / DATAS

(21/12/2004) Les montants ne sont pas astronomiques, mais la progression est là. Malgré les affrontements quotidiens, les enlèvements de personnel expatrié et l'insécurité qui règne toujours en Irak, les exportations suisses vers Bagdad ont triplé entre 2003 et 2004. Elles s'élevaient à seulement 38,4 millions de francs l'an passé, elles dépasseront sans doute la barre des 100 millions cette année. «Toutes catégories confondues, la période janvier-octobre 2004 totalise plus de 81 millions d'exportations suisses», informe à Berne MmeTrier, responsable au seco (Secrétariat d'Etat à l'économie).

Les entreprises pharmaceutiques suisses occupent le haut du pavé: 46 millions d'exportations concernent des produits pharmaceutiques, contre 20 millions pour les machines, 6,6 mio pour les véhicules et environ 6 mio de produits chimiques... soit environ 14 000 tonnes de marchandises diverses expédiées en 10 mois, selon les chiffres fournis par l'Administration fédérale des douanes.

Certes, le bilan est encore modeste en regard du total de 680,4 millions atteint en 1982 - une année culminante, juste avant la guerre contre l'Iran. Il rattrape cependant le volume de transactions en vigueur avant l'occupation américaine: 124 millions en 2002 pour la vente de médicaments, d'aliments et d'autres biens civils dans le cadre du programme «pétrole contre nourriture».
De quoi nuancer les derniers messages de morosité et d'impatience véhiculés par les diplomates. En octobre dernier, le chef du Bureau de liaison suisse à Bagdad Martin Aeschbacher confirmait une légère amélioration de la situation générale pour le commerce suisse en Irak depuis 2003, tout en restant préoccupé par les questions de sécurité.

L'Office suisse d'expansion commerciale (OSEC) se montre plus enthousiaste: en plus des grandes firmes suisses intéressées par ce nouveau marché (Nestlé, Serono, Ciba, Novartis...), «il y a toujours davantage de PME actives dans le commerce avec Bagdad», nous confirme Nicolle Ming. Combien, lesquelles? «Impossible de vous préciser, elles ne souhaitent pas se faire connaître».
La discrétion est de rigueur, y compris pour les trois multinationales disposant déjà d'un siège permanent en Irak. Le groupe de technologies ABB s'est toutefois distingué comme sponsor officiel et principal partenaire du plus important Forum économique consacré à l'Irak: «Iraq Procurement 2004» (Amman, novembre 2004), qui a attiré des compagnies telles que Shell, BP, Bechtel, Kellogg Brown & Root (KBR), Boeing, Microsoft ou Novartis.
ABB travaille depuis 2003 à la formation et à l'encadrement d'ingénieurs irakiens dans la restauration et le développement des réseaux d'électricité, en grande partie détruits par les bombardements américains, comme la plupart des infrastructures. Selon des officiels irakiens, la reconstruction totale du réseau national représenterait un marché de 8 à 10 milliards de dollars.
Le secteur de l'agriculture est lui aussi en complète restructuration, frappé par la dislocation des structures d'Etat et la privatisation accélérée en cours. A Bâle, Rainer von Mielecki, porte-parole du géant de l'agrochimie Syngenta, précise que la firme anglo-suisse «fournit principalement à l'Irak des semences, herbicides, pesticides et fongicides». Le marché serait lui aussi prometteur, même si certains regrettent toujours «la priorité accordée aux firmes américaines pour la reconstruction de l'Irak».

Le groupe suisse Bühler, spécialisé dans l'équipement et les produits pour l'industrie alimentaire, reste lui aussi confiant en l'avenir. «Nous livrons à l'Irak des machines, moulins à grain et usines de production dans le cadre du nouveau programme pétrole contre nourriture», explique le responsable de la communication Detlef Janssen, sans vouloir entrer dans le détail des montants exacts d'exportations. «Notre activité devrait se développer en 2005, si la situation le permet».
Le groupe Bühler est présent de longue date en Irak (depuis les années 1920). Les spécialistes remarquent que la Suisse, bon an mal an, renoue peu à peu avec ses exportations traditionnelles.
Dans les années 80, particulièrement répressives en Irak mais propices pour le commerce avec la Suisse, les principales marchandises vendues à l'Irak étaient «des équipements électriques, des instruments optiques, des produits de métallurgie, pharmaceutiques et chimiques, ainsi que des pesticides», selon le jargon fédéral, qui gomme la présence de biens à double usage, civil et militaire.
On comptait alors une cinquantaine de sociétés suisses possédant leurs bureaux à Bagdad. Avant l'embargo économique, elles décrochaient avec l'ancien régime de Saddam Hussein des contrats annuels pour un total d'environ un milliard de dollars, rappelle une étude de Marc Perrenoud, collaborateur au service historique du Département fédéral des affaires étrangères.