SUISSE
La corruption, dans le collimateur de l’OCDE
La Convention sur la lutte contre la corruption a ratifiée par les 30 pays membres de l’OCDE, y compris la Confédération. Pour quels résultats ? Réponses de l’expert suisse des crimes financiers Mark Pieth, chargé par l’ONU d’enquêter sur les accusations de surfacturations dans l'ancien programme " pétrole contre nourriture ", impliquant la société genevoise Cotecna

Gilles Labarthe / DATAS

(Paris, 09/12/2004) Depuis plus de dix ans, l'Organisation de coopération et de développement économiques planche sur un délit majeur de notre époque: la criminalité financière. Les 30 pays membres de l'organisation ont ratifié une «Convention sur la lutte contre la corruption». Cinq ans après son entrée en vigueur, la convention représente toujours «un outil formidable et unique», vante Rainer Geiger, directeur adjoint aux Affaires financières et des entreprises de l'OCDE. Le bilan de sa mise en application, lui, semble plutôt «mitigé». Et pour cause. Sur le papier, «la convention oblige les pays signataires à fournir l'entraide judiciaire». Dans les faits, les enquêtes du Groupe de travail de l'OCDE sur la corruption, présidé par le Bâlois Mark Pieth, sont confrontées à de «fortes résistances» de la part de plusieurs pays membres, dont la Suisse.

«Lorsque nous avons voulu enquêter sur la place financière de Milan, le Gouvernement italien a posé comme condition de rencontrer nos interlocuteurs... à Rome. Les enquêtes au Luxembourg, qui reçoit environ 400 demandes d'entraide judiciaire par an, se sont heurtées à de nombreux obstacles, entre autres la lenteur de la coopération dans les dossiers de blanchiment d'argent». Et la Suisse? Le pays du secret bancaire a lui aussi ratifié la convention, en décembre 1999. L'année suivante, il a fait l'objet d'un premier «rapport sur la mise en oeuvre de la convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption», texte juridique plein de promesses. Et puis... plus rien.
«Un nouveau rapport très critique, mentionnant des cas précis de corruption, devrait sortir début janvier 2005 à Berne», informe à Paris Mark Pieth, qui parle des «défis considérables» relevés par son équipe pour mener les investigations sur place. «Il ne s'agit pas d'établir des listes noires, mais nos rapports sur les pays examinés ne sont pas non plus des textes en langage diplomatique. C'est très direct ce qu'on écrit là», promet l'expert des crimes financiers.

Sans dévoiler pour l'heure des noms d'entreprises ou d'institutions suisses concernées par cette nouvelle investigation de l'OCDE, Mark Pieth précise que ce travail d'enquête sera rendu public a un moment charnière: celui d'un rapport intermédiaire - très attendu - sur l'implication de la société genevoise d'inspection Cotecna dans les surfacturations massives opérées dans le cadre du programme «pétrole contre nourriture», géré par l'ONU entre 1996-2003. Une gigantesque fraude, réalisée avec la complicité d'individus et de compagnies étrangères, rappelle le Bureau des comptes du Congrès américain (General Accounting Office, GAO). L'opération aurait permis un détournement d'environ 4,4 milliards de dollars, au profit de Saddam Hussein et de son entourage, mais aussi de firmes occidentales, entre autres suisses et françaises.
Mark Pieth a été chargé par l'ONU de mener une enquête indépendante, y compris sur les ramifications suisses de cette vaste opération de détournements. Le spécialiste confirme que ses demandes d'entraide ont bien été entendues par les autorités de Berne. Les investigations porteront notamment sur des comptes bancaires en Suisse. Elles seront d'autant plus facilitées que le groupe français BNP Paribas «vient de se montrer plus coopératif».
Dernièrement accusée de négligence par des parlementaires américains, la BNP effectuait les paiements dans le cadre du programme onusien. Elle a freiné jusque-là l'avancée des enquêtes sur le plan légal. Les informations qu'elle pourrait donner bientôt permettront sans doute de remonter bien des filières.
«Je suis assez optimiste pour la suite. Il reste maintenant à définir le rôle joué par la Cotecna». C'est-à-dire, comprendre dans quelles conditions la société d'inspection genevoise (qui versait encore récemment des milliers de dollars à son ancien employé Kojo Annan, fils du secrétaire général de l'ONU) a décroché le contrat de 6 millions de dollars pour le contrôle des exportations vers Bagdad. Et enfin, comment, malgré un flot de critiques, «elle a obtenu un renouvellement de son contrat» auprès de l'Autorité provisoire de la coalition en novembre 2003.